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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/624

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demi-tour à droite et tiré sur lui sur-le-champ, à la bataille de Leipzig. Tant mieux et mille fois tant mieux sans doute. Mais voyez, cependant, comment l’esprit raisonneur se glisse partout. Savez-vous que c’est un terrible spectacle que celui d’un militaire qui juge son maître sur le champ de bataille et qui tire sur ses alliés ! Car rien ne nous dit que les officiers eussent reçu des ordres conditionnels ; — même, tout nous dit le contraire. — Enfin, cher comte. Dieu nous garde. Le modeste Empereur (Alexandre) dit dans la lettre à sa maman, qui a servi de base à la relation officielle : Nous avions enfin la supériorité du nombre. Elle était immense, surtout après la défection des alliés. L’Empereur a dit à ses généraux : Celui qui ne reconnaît pas que tout ceci vient d’en haut ne mérite pas le nom d’homme. Si vous aviez vécu ici pendant les mémorables campagnes de 1812 et 1813, vous sauriez à quels fils imperceptibles a tenu le destin du monde et combien cette phrase de l’Empereur est sensée. Au reste, rien n’empêche qu’on ne rende aux causes secondes l’honneur qui leur est dû, et sous ce point de vue, l’empereur Alexandre est au-dessus de tout éloge. Nous lui devons beaucoup. Espérons qu’on lui devra encore davantage. — Voilà donc le roi de France sans colonies, sans flotte, presque sans artillerie et régnant sur des vieillards, des femmes et des enfans. Ah ! bourreaux d’avocats, qu’avez-vous fait ? Les Français ont ébranlé les colonnes du temple européen ; il est tombé et les a écrasés. Rien n’est plus juste ; mais rien n’est plus triste.

« Mes craintes commencent aujourd’hui à prendre une tournure toute différente ; mais je n’ai pas le temps de vous en dire davantage, et d’ailleurs vous m’entendez.

« Mettez-moi, je vous en prie, aux pieds de votre auguste maître. Vous devez être content de moi, quand vous voyez que je suis prêt à faire tout pour lui, même un mauvais ouvrage[1], ce qui est incontestablement le dernier degré du dévouement.

« Bonjour, mon cher comte, je baise vos deux joues. »


Au mois de janvier suivant, la cause de Napoléon était irréparablement perdue. Le suprême et héroïque effort des soldats qui combattaient pour elle autant parce que c’était la sienne que parce qu’ils y voyaient celle de la France, ne pouvait plus la

  1. Louis XVIII avait fait demander, par Blacas, à Joseph de Maistre, un projet de proclamation qu’il voulait faire répandre en France.