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et surtout dans la vôtre, monsieur le comte, une erreur particulière et terrible, c’est la raison d’État que vous entrelacez de plus avec l’autorité de Bossuet. Rien n’est plus chimérique ; mais il n’y a pas moyen de défaire ce nœud. Bossuet aurait dû mourir après le sermon sur l’Unité comme Scipion l’Africain après la bataille de Zama ; c’est encore ce que j’ai écrit, et je ne m’en repens pas. Depuis la fatale époque de 1682, ce grand homme n’est plus qu’un homme. Il fait pitié ; il fait pleurer quand on le compare à ses belles années. Il n’est du reste pas plus l’auteur des Quatre Articles que vous et moi. Il ne fut que le secrétaire mécanique de l’assemblée. Il disait à l’archevêque de Reims, Le Tellier : Votre gloire sera obscurcie par ces odieuses propositions, etc., etc. Mais tout cela est inutile. Il y a des préjugés contre lesquels la raison est non seulement nulle, mais dangereuse, car la plus grande insulte pour l’orgueil, c’est une démonstration. Quand une nation s’est entêtée, tout est dit, et quand la Souveraineté a joint de plus à une certaine erreur l’idée de sa prérogative, il n’y a plus que Dieu qui la puisse convertir ; même, j’en doute. Qui sait si elle ne dirait pas Non à Dieu même ? Les protestans lui disent bien qu’il se trompa grossièrement, il y a mil huit cent dix-sept ans : qu’il ne sut pas fonder son Église ; qu’au bout d’un temps assez court, elle n’était plus qu’une infâme idolâtrie et que sans deux polissons du XVIe siècle, c’en était fait de la vérité sur la terre...

« ... J’étais sur le point de vous envoyer le Lépreux de la Cité d’Aoste, lorsque vous m’avez appris que Le Normant vous l’envoyait. Il me préviendra sûrement. Voici une jolie anecdote sur cet opuscule. Un de vos diables d’écornifleurs, à Paris, avait déterré, je ne sais où ni comment, l’édition de Saint-Pétersbourg du Voyage autour de ma chambre suivie du Lépreux. II sentit la force de ce morceau, le copia proprement et le lit imprimer comme un ouvrage de sa façon. Il eut même le front d’en faire une lecture dans je ne sais quelle société où se trouva pour son malheur le marquis de La Maisonfort[1], qui ne châtia pas cette rare impudence autrement qu’en demandant en passant au lecteur s’il connaissait l’auteur du Voyage autour de ma chambre ! Le Lépreux a fait une fortune dont vous n’avez pas

  1. Un des agens les plus actifs de l’émigration, qui avait longtemps vécu en Russie et qui était des amis du comte de Maistre et du comte de Blacas.