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pas mon idée, je prends mon chapeau et vais me promener ; souvent alors, l’idée vient.

J’avance tous les jours un peu, quoique lentement ; la masse des préjugés est si forte ! La Révolution française, vue de près et dans les documens authentiques, est toute différente de ce qu’on imagine ; j’ai besoin de garder toutes les avenues, car elle est une religion, et l’on fondra sur moi-même comme sur un blasphémateur…


À Monsieur John Durand[1].


Menthon-Saint-Bernard, 8 octobre 1876.
Mon cher ami,

J’apprends avec plaisir que vous êtes arrivé en bonne santé et que tous les vôtres vont bien.

Ma fatigue de tête est à peu près passée, et depuis un mois j’ai recommencé à écrire ; mais j’ai trouvé de grandes difficultés auxquelles je ne m’attendais pas. Je suis à peine à moitié du deuxième livre. Il me faut exposer et juger l’œuvre de l’Assemblée Constituante, ce qui exige des recherches et des réflexions sur toutes sortes de points spéciaux, sur la nature de l’Etat, des Constitutions, de l’aristocratie, de la propriété, des corps ou personnes collectives, de l’Église catholique, de la décentralisation, et en général sur tout le droit civil et politique.

Je suis arrivé, si je ne me trompe, à dégager des principes ; mais je me trouve si loin des idées ordinaires, surtout des idées qui ont cours en France, que j’ai besoin de toute mon attention ; il faut être clair et prouver, et le travail d’élaboration est énorme. De plus, l’ouvrage s’allonge sous ma main ; j’ai bien peur d’avoir deux volumes sur la Révolution et de n’avoir pas fini avant un an au moins. Mais je serai suppléé cet hiver dans mon cours à l’Église des Beaux-Arts[2], et, « si la santé ne me manque pas, je ne lâcherai pas mon travail avant de l’avoir fini.

  1. M. John Durand, né aux États-Unis, d’une famille de réfugiés de la Révocation de l’Édit de Nantes, a traduit en anglais une grande partie des œuvres de M. Taine, notamment les Origines de la France contemporaine. Il a été pendant vingt-cinq ans l’un des fidèles amis de M. Taine.
  2. Par M. Georges Berger.