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Dieu et en faisant aux autres tout le bien qu’ils peuvent attendre de moi[1] . »

Le Duc de Bourgogne traduisait le sentiment de ses devoirs vis-à-vis de ceux sur qui il était appelé à régner par cette maxime qu’il répétait souvent, et qui faisait l’admiration de Saint-Simon : qu’un Roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui, « mot de père de la patrie, ajoute Saint-Simon, qui, hors de son règne que Dieu n’a pas permis, seroit un affreux blasphème. » Saint-Simon ignorait sans doute qu’Henri IV avait dit à peu près la même chose lorsqu’il écrivait « que les rois n’étant pas nés pour eux, mais pour les États et les peuples sur lesquels ils sont constitués, ne doivent jamais aspirer à d’autre tranquillité que celle du tombeau et qu’il faut qu’ils meurent en l’action. » Le Duc de Bourgogne est mort avant l’action, mais il s’y préparait. Il se préoccupait d’exercer son pouvoir avec justice et dans l’intérêt de son peuple, mais nous ne savons par aucun document émané directement de lui quelles limites il entendait de lui-même imposer à ce pouvoir. Il était trop consciencieux pour ne pas sentir que l’écueil du pouvoir royal est ce qu’il appelle lui-même quelque part « la tyrannie, » et trop bon théologien, trop pénétré des principes de Bossuet, dont il avait lu certainement la Politique tirée de l’Écriture sainte, pour ne pas savoir que le pouvoir absolu, revendiqué par Bossuet pour les rois, n’est pas la même chose que le pouvoir arbitraire ; nous ajouterons même, trop bon élève de Fénelon, pour ne pas partager les idées de son maître sur les dangers du despotisme. Chevreuse lui avait certainement communiqué une lettre où Fénelon s’exprime en ces termes : « Pendant que le despotisme est dans l’abondance, il agit avec plus de promptitude et d’efficacité qu’aucun gouvernement modéré, mais quand il tombe dans l’épuisement, sans crédit, il tombe tout à coup sans ressource. Il n’agissait que par pure autorité. Le ressort manque… Quand le despotisme est notoirement obéré et banqueroutier, comment voulez-vous que les âmes vénales qu’il a engraissées du sang du peuple se ruinent pour le soutenir ? « Enfin, le Duc de Bourgogne était trop humble et trop méfiant de sa propre nature pour ne pas reconnaître que les rois sont sujets aux faiblesses et à l’erreur. Mais, encore une fois, dans quelles insti lu lions entendait-il chercher une garantie

  1. Proyart, t. II, p. 335.