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infatigable champion la plus urgente et la plus importante de toutes les réformes, les aurait-il constitués en corps politique ? Aurait-il rétabli, sous une forme ou sous une autre, ces placita d’autrefois, qui n’étaient composés que du Roi et de ses grands vassaux, où « se décidoient, dit Saint-Simon, la paix et la guerre, et où les pairs avoient la puissance législative et constitutive pour les grandes sanctions de l’Etat. » Cela est possible, mais nullement certain. Henri Martin nous paraît avoir été beaucoup trop loin lorsqu’il dit que le Duc de Bourgogne se proposait de créer une monarchie aristocratique consultative et « de constituer en France ce qui n’y avait jamais été, une aristocratie gouvernante[1]. » Que ce fût la tendance de son esprit et que la noblesse eût exercé sous son règne une beaucoup plus grande influence que sous le précédent, on n’en saurait disconvenir ; mais il s’en faut que ses décisions sur ce point fussent aussi arrêtées que le dit Henri Martin, et, pour être fidèles à la ligne que nous nous sommes tracée de ne demander ses projets qu’au Duc de Bourgogne lui-même et point à un autre, nous sommes obligés de laisser dans le doute la question, intéressante cependant, de savoir quelle part de pouvoir politique il aurait attribuée à la noblesse.


V

Si le Duc de Bourgogne aimait la noblesse, c’est une justice à lui rendre qu’il aimait aussi le peuple, et l’expression de tendresse compatissante dont se servait Boulainvilliers s’applique ici davantage encore. Il avait, en effet, la préoccupation constante, poussée parfois jusqu’à l’obsession, de la misère publique qui avait pris, depuis quelques années, surtout depuis l’hiver de 1709 et depuis les malheurs de la dernière guerre, des proportions inquiétantes pour l’avenir du royaume. Cette préoccupation ne lui inspirait pas seulement une charité ardente dont nous avons raconté les traits[2], qui le poussait à distribuer en aumônes la presque-totalité de la pension qu’il recevait du Roi et à se dépouiller pour les pauvres. Elle le portait à s’enquérir des causes de cette misère, dont il croyait, non sans raison, découvrir l’explication principale dans la mauvaise administration des

  1. Histoire de France, t. XIV, p. 558.
  2. Voyez la Revue du 1er juin 1905.