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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/826

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en proie aux exacteurs, réduit à-supputer et discuter avec eux son propre patrimoine, les seuls financiers s’en sauvèrent par leurs portefeuilles inconnus. » Mais il n’était pas seul à éprouver ces sentimens. Quelques jours après l’adoption de cet impôt par le Conseil des Finances, la Duchesse de Bourgogne avait réuni à dîner quelques-unes de ses dames dans ce réduit de la Ménagerie dont l’intimité lui plaisait. Au sortir de table, la conversation tomba sur cet impôt qui faisait l’objet des préoccupations générales. Le Duc de Bourgogne prit feu aussitôt. Il s’emporta contre cette invention nouvelle ainsi que contre toutes les autres avec tant de véhémence que, dit Saint-Simon, « le feu et les malédictions lui sortoient des yeux et de la bouche... Il dit, comme par manière d’excuse, qu’il falloit bien qu’enfin il se laissast la liberté d’en parler là où il étoit en particulier, parce qu’il en crevoit depuis longtemps et qu’une plus longue retenue à la fin lui feroit mal à la santé, tant il estoit plein et outré de ces tyrannies ; et puis, tombant sur les partisans, sur leur luxe, sur leurs inventions, sur la manière inique dont les imposts se levoient, pour multiplier les frais et les levées, sans qu’il en revinst presque rien au Boy, sur la misère de tous les ordres de l’Estat, il conclut presque avec larmes qu’un royaume ainsi en proie à toute injustice ne pouvoit prospérer n’y attirer la bénédiction de Dieu[1]. »

La colère que le Duc de Bourgogne témoignait contre les partisans et qui le faisait, à l’étonnement de Saint-Simon, se départir vis-à-vis d’eux de la mesure et de la charité qu’il s’appliquait d’ordinaire à garder dans ses propos, tenait à ce qu’il les rendait responsables de la dureté avec laquelle les impôts étaient perçus. Il n’avait pas tort, car le déplorable système des fermes, c’est-à-dire du droit concédé soit à certains particuliers, soit à certaines associations, de percevoir au nom du Roi les impôts dont une partie seulement allait au Trésor, le surplus étant retenu pour frais de perception ou constituant le bénéfice des fermiers, poussait ces derniers à des actes d’inhumanité qui allaient jusqu’à l’exaction, et qui, dans sa compassion pour le peuple, excitaient l’indignation du Duc de Bourgogne. « L’intention du souverain qui est le père commun de ses sujets n’est point, disait-il, et ne sauroit être que le dernier d’entre eux soit

  1. Écrits inédits de Saint-Simon, t. II. Mélanges, t. I, p. 481.