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y ont contribué en enlevant à la royauté son autorité morale. Il est toujours facile de refaire l’histoire. Il est facile d’affirmer soit que la monarchie française était susceptible de transformations et pouvait procéder elle-même aux réformes nécessaires, soit de dire, comme Michelet, qu’au contraire elle était pourrie, que ceux qu’il appelle les Saints n’auraient apporté au gouvernement que des utopies irréalisables et que sa chute inévitable a été un bienfait. Ceux qui étudient sans parti pris les choses de l’histoire se gardent avec soin de ces affirmations tranchantes, qui sont d’autant plus faciles que la démonstration ou la réfutation par les faits est également impossible à administrer. Mais l’histoire nous montre cependant que les vertus ou les vices des rois ne sont point chose indifférente à la prospérité des empires, et peuvent prévenir ou précipiter leur déclin. C’est ainsi que les vertus des Antonins rendirent à l’Empire romain l’éclat que lui avaient enlevé les cruautés d’un Néron, les folies d’un Caligula ou d’un Domitien, et que devaient lui enlever de nouveau celles d’un Commode ou d’un Héliogabale. Parmi les princes de cette dynastie, il en est un auquel il est impossible de ne pas trouver avec le Duc de Bourgogne un grande ressemblance, à en juger d’après le portrait que son fils adoptif a tracé de lui dans ses Pensées[1] : « Ce que j’ai vu dans mon père : La mansuétude, jointe à une rigoureuse inflexibilité dans les jugemens portés après un mûr examen ; le mépris de la vaine gloire que confèrent de prétendus honneurs ; l’amour du travail et l’assiduité ; l’empressement à écouter ceux qui nous apportent des conseils d’utilité publique ; l’invariable application à chacun des services ; le renoncement aux amours ; le zèle du bien public... Dans les délibérations il ne négligeait aucune recherche ; il y mettait toute la patience imaginable et ne se payait pas des premières apparences pour suspendre le cours de son investigation. Il savait conserver ses amis... Les acclamations, les flatteries de toute nature, tant qu’il régna, ne purent se produire. Il veillait sans cesse à la conservation des ressources nécessaires à la prospérité de l’Etat. Même dans la dépense qu’occasionnaient les fêtes publiques, il ne trouvait pas mauvais qu’à ce sujet on l’accusât quelquefois d’économie... Il était sobre en toutes choses. Jamais de passion pour les nouveautés. Son commerce était plein

  1. Pensées de l’empereur Marc-Aurèle Antonin, traduction par Alexis Pierron p. 9.