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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/880

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qu’il est ? Mais vous savez bien, ma chère lady Hester, que je ne vaux quelque chose que par ma folie. Si je ne toisais pas les duchesses, et si je ne saluais pas les princes d’un air protecteur, on m’aurait oublié au bout d’une semaine. Le monde est assez fou pour se pâmer devant mes absurdités ; mais vous et moi nous savons ce que vaut tout cela. « Plus tard, Hester donna un souvenir de regret à Brummell, lorsqu’elle apprit que le Warwick de l’élégance, ruiné par le jeu, s’était éclipsé en 1816, et réfugié à Calais. Il y demeura quatorze ans, vivant aux frais de ses amis et les quêtant sans vergogne, fut nommé consul d’Angleterre à Caen, fit connaissance avec la prison pour dettes, se résigna enfin à porter des cravates noires. La fin, ce fut la folie, l’hospice du Bon-Sauveur, où il lui arrivait de mimer les réceptions d’autrefois. « Quelquefois il se mettait dans l’idée de donner une fête, et invitait tous les compagnons de sa vie brillante d’autrefois, dont beaucoup étaient déjà morts. Ces jours-là, il faisait ranger sa chambre, mettre la table de whist, et allumer des bougies (qui n’étaient que de la chandelle). A huit heures, le domestique, auquel il, avait donné ses instructions, ouvrait la porte toute grande, et annonçait la duchesse de Devonshire. Le beau se levait de son fauteuil, et il s’avançait jusqu’à la porte pour recevoir la belle Georgina. Son salut était presque aussi gracieux que trente-cinq ans auparavant. « Ah ! ma chère duchesse, disait-il en grasseyant, que je suis heureux de vous voir ! Je vous en prie, ensevelissez-vous dans ce fauteuil ! Savez-vous bien qu’il m’a été donné par la duchesse d’York, une très bonne amie à moi ? Pauvre femme ! elle n’est plus maintenant. » Ici, les yeux du vieillard se remplissaient de larmes, et se laissant tomber lui-même dans son fauteuil, il regardait vaguement le feu jusqu’à ce que lord Alvanley, ou lord Worcester, ou tout autre, fût annoncé, et alors il recommençait la même pantomime. A dix heures, on annonçait les voitures, et la farce était finie. » Pauvre Brummell, voudrait-on dire ! Hélas ! cet homme, que ses amis défrayèrent avec une générosité infatigable pendant vingt-cinq ans, déclara froidement qu’il avait perdu son meilleur ami le jour où mourut son caniche. Et l’on ne peut guère accorder le mot du cœur à celui qui ne goûta que les mots de l’esprit, et vécut d’attitudes.

La mort de William Pitt allait produire un immense changement dans la vie d’Hester, en la faisant tomber du côté où penchait