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une révélation. C’est une époque, ils en font une hégire. « L’œuvre propre des romantiques par rapport à la Révolution, ç’a été de la passionner, de la chanter, d’enflammer son esprit destructeur, mais aride, de leur lyrisme, de leur mauvaise religiosité, d’adresser aux principes désorganisateurs les hymnes dus aux idées et aux forces créatrices, de la déifier, d’en faire l’objet d’un « culte » et par là d’ôter aux générations soumises à leur influence toute liberté d’examen et de critique, toute possibilité de clairvoyance à son égard. » Ces grands mots qui ont pris racine dans les intelligences modernes et peu à peu s’y sont métamorphosés en dogmes : le Culte de la Révolution, la Religion de l’Humanité, du Progrès ou de la Science, tout ce pathos est d’espèce romantique.

La contagion a d’ailleurs été universelle : bien rares sont ceux de qui on peut affirmer qu’ils en furent indemnes. Les tempéramens les plus sains, les plus robustes, les mieux portans en furent atteints. Qui donc fut de nature moins romantique que le chef du romantisme ? Et qui fut, dégoûts et d’humeur, plus bourgeoise que George Sand ? Mais par une singulière rencontre, il n’est resté en dehors du romantisme que les esprits les plus secs et les âmes les plus médiocres. De même tous les genres ont été viciés par l’intrusion du romantisme. Le roman qui vit de l’observation des mœurs et de l’étude des sentimens s’est prêté aux confidences du genre personnel, aux réclamations individualistes et aux rêveries utopiques. Le théâtre, dont l’essence est l’impersonnalité, s’est fait tout lyrique. La critique, la philosophie, les études religieuses ont été altérées par ce ferment de décomposition. Sainte-Beuve a eu sa période romantique. Il y a du romantisme chez Cousin, il y en a davantage chez Lacordaire et davantage encore chez Lamennais. Mais l’exemple le plus frappant est à coup sûr celui de Michelet, historien de génie, consacrant à l’investigation des documens un soin alors tout nouveau, et sans cesse dupe de sa sensibilité, de ses imaginations, de ses préjugés et de ses haines. Ce « cas » étant significatif entre tous, M. Lasserre s’y est attaché et acharné. Pour exprimer tout à la fois l’admiration et l’horreur que lui inspire l’historien-poète, il a multiplié les formules : « Je me divertis autant qu’un autre à Michelet, je ne le crois jamais. » « C’est un amuseur qui se croit un prophète, etc. » Et il conclut par ce jugement qui est une exécution : « Horreur de la réalité, horreur des intelligences énergiques et des volontés créatrices,... tendresse suspecte sans mesure et sans examen pour tout ce qui a fait figure de révolté, de dissident ou de vain rêveur, transmutation des malades en grandes âmes prophétiques