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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/939

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des pages éclatantes ou charmantes à notre trésor littéraire. Il a renouvelé la langue et nous a rapporté la science des beaux rythmes. M. Lasserre le sait bien, et il arrive qu’en le contestant il s’amuse. Il écrit quelque part : « La rêverie est servile, vulgaire et languissante. Qui rêve ? l’esclave aux barreaux de son ergastule, la petite bourgeoise à sa fenêtre, le précepteur du château remonté dans sa chambre. Qui rêve ? un sot. » Un poète aussi... et nous ne serions pas disposés à faire bon marché des « rêveries » d’un Lamartine ou d’un Hugo. Le romantisme a éveillé les mille voix de la nature et réveillé les échos du passé. Car il est bien vrai que les romantiques ont insolemment rompu avec la tradition, et fâcheusement travesti nos annales. Pourtant c’est à eux que nous sommes, par un singulier retour des choses, redevables du culte du passé et du sens de l’histoire.

Du romantisme M . Lasserre n’a voulu connaître que les sources et le caractère morbides : il a prétendu suivre dans une littérature et dans une société l’œuvre d’un ferment de décomposition, l’action d’un virus. Il y a réussi à souhait. Cette vue du romantisme, considéré comme un assaut livré à l’âme moderne par toutes les forces coalisées de désorganisation, est juste et féconde. Faut-il ajouter un dernier trait ? Cette étude du romantisme pris du point de vue pathologique était tout à fait opportune. Car le mal n’est pas seulement d’hier et il s’en faut que nous en soyons guéris. Il a laissé en nous des tares dont nous n’avons pas cessé de souffrir. En littérature, le goût pour l’exceptionnel et le bizarre ; dans la vie sociale, l’indulgence à tout ce qui nous apparaît revêtu du prestige de la passion ; en politique, le culte d’idoles malfaisantes, et dans tous les ordres de réalités le désarroi, l’incohérence et l’anarchie ; qui oserait prétendre que nous soyons délivrés de tous ces fléaux ? L’âpreté avec laquelle quelques-uns de nos contemporains réclament contre ces dangereux sophismes, trahit sans doute l’inquiétude qu’ils éprouvent à constater leur survivance parmi nous. C’est au bout d’un très long temps que les principes faux développent leurs extrêmes conséquences. Nous apercevons aujourd’hui avec effroi les résultats de ce grand ébranlement qu’a subi l’âme française, au milieu du XVIIIe siècle. Qui sait ? Cette clairvoyance est peut-être, sinon le commencement, du moins la condition d’un retour à l’équilibre, au calme et à la santé.


RENE DOUMIC.