Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 38.djvu/962

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fois, après avoir justement frappé un agent indiscipliné ou révolté, ne l’a-t-il pas, au bout de quelques mois ou même de quelques semaines, remis bénévolement en fonctions !

Le péril que les syndicats de fonctionnaires font courir à la chose publique est certainement des plus graves. Les tendances des ouvriers, le but qu’ils se proposent, celui que poursuivent leurs syndicats sont connus. Ils veulent beaucoup moins détruire le capital que s’en emparer. La mine aux mineurs, la terre aux cultivateurs, etc., tel est leur rêve. Si les fonctionnaires font de même, l’analogie doit les conduire à s’emparer de l’État pour l’exploiter à leur profit. Et c’est bien à cela qu’ils visent. De même que les syndicats ouvriers reviennent peu à peu aux anciennes corporations que la Révolution a détruites, les fonctionnaires reviennent aux anciennes organisations judiciaires, financières, scolaires, que la Révolution a détruites aussi. Verrons-nous revivre les anciens parlemens, les fermes générales, etc. ? Assurément ils prendraient d’autres formes et d’autres noms ; les vieux privilèges ne pourraient renaître qu’en se démocratisant dans un plus grand nombre de mains ; mais la désaffectation de l’État et l’accaparement des services publics par des organisations plus ou moins indépendantes de lui seraient les mêmes qu’avant 1789. Les Chambres ne feraient plus les lois ; on les leur dicterait, on les leur imposerait ; et n’est-ce pas déjà ce qui se passe ? Les Chambres le sentent et elles commencent à réagir. Le gouvernement le sent, lui aussi, et il commence à se défendre. Mais la poussée continue, la lutte reste ouverte. Les faits actuels ne sont que des manifestations partielles d’un état de choses général, ou qui tend à le devenir. La Révolution a été faite contre les privilégiés d’en haut ; on cherche à la défaire au profit de privilégiés d’en bas, et cela dans tous les ordres d’activité possibles. Les privilèges sont les mêmes ; les privilégiés seuls sont changés. L’État, disent les fonctionnaires, est un patron comme un autre : on veut donc le déposséder comme un autre. C’est un immense danger. Nous nous contentons de le signaler : saura-t-on y échapper ?

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.