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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/105

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populaire. Un philosophe aurait pu affirmer qu’à Rome, dans cette ville construite tout entière, depuis le pavé des rues jusqu’aux temples des dieux, avec les produits d’un pillage mondial, Gallus avait bien mérité de la République, puisque au moins ce n’était pas l’Italie, mais l’Egypte qu’il avait volée. Ses amis auraient pu simplement demander à la ville devenue soudain si vertueuse, ce que Gallus avait fait que n’eussent point fait Agrippa et Auguste et tous les hommes les plus admirés de la génération actuelle, et que n’eût désiré faire tout citoyen arrivé à l’âge de raison. Mais la paix aiguisait dans les cœurs de nouveaux égoïsmes aussi farouches et aussi vils que ceux de la guerre civile, tout en les déguisant sous les beaux noms de justice et de droiture. Toutes les oligarchies qui ont des origines troubles et une puissance peu sûre, finissent par abandonner de temps en temps quelques-uns de leurs membres au ressentiment de ceux qu’ils dominent. Malheur à ceux qui sont ainsi sacrifiés ! Alors, comme toujours, on était plus disposé à laisser périr son voisin qu’à renoncer à ses privilèges. On aimait mieux sacrifier l’orgueilleux et violent Gallus, que de restituer une partit ; des biens dont on jouissait. Auguste, pour ne pas contrarier l’opinion publique et ne pas trop nuire à Gallus, le révoqua et le déclara exclu de ses provinces et de sa maison[1] ; mais ce châtiment trop doux ne pouvait satisfaire le public ; puisque Auguste punissait Gallus, c’était qu’il le considérait comme coupable ; on réclama donc de nouvelles et plus grandes rigueurs. Tout le monde abandonna l’ancien præfectus Ægypti. De nouveaux accusateurs surgirent de partout avec de nouvelles accusations, exagérées et fantastiques, mais auxquelles le public ajoutait foi[2]. Il semble même que, pour être sûr de sa condamnation, on réussit à déférer son procès au Sénat[3]. Mais les esprits généreux ne pouvaient pas ne pas être profondément émus de ce furieux massacre d’un homme illustre que l’on accusait d’avoir fait ce qui avait servi à la gloire de tant d’autres. Au

  1. Suét., Au., 66 ; Dion, 53, 23. En prenant cette décision, Auguste cherchait évidemment à contenter l’opinion publique sans perdre Gallus. Ceci nous montre que si Auguste, comme il est probable, encouragea d’abord les accusations que l’on portait contre Gallus, elles produisirent cependant un effet beaucoup plus considérable qu’il ne l’aurait voulu.
  2. Dion, 53, 23 ; Amm. Marc, 17, 4, 5.
  3. Nous le savons par Dion, 53, 23 et par Suétone, Aug., 66 : Senatusconsultis ad necem compulso.