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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/129

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volupté personnelle, un caprice de l’imagination, une source de plaisirs esthétiques, un sujet de plaisanteries et de risées.

C’est ainsi que le poète exprimait tantôt la philosophie delà vertu qui dérivait de la tradition, tantôt la philosophie du plaisir qui dérivait de l’art grec et des mœurs contemporaines. Mais Horace ne fait aucune tentative pour concilier ces deux philosophies discordantes ; il s’abandonne tantôt à l’une et tantôt à l’autre, et il n’est satisfait ni de l’une ni de l’autre. Il avait conscience de la force et de la grandeur de la tradition ; mais il comprenait aussi que cette grande philosophie du devoir ne convenait plus ni à la mollesse de son époque, ni à sa propre faiblesse morale, et il l’avoue très franchement. Il a condensé dans les quelques vers de l’ode merveilleuse à la déesse qui avait son temple à Antium, à la Fortune, toute une philosophie amère de l’histoire et de la vie. La fortune, et non la vertu, est la maîtresse du monde ; la destinée en est l’esclave docile ; les hommes et les empires sont en son pouvoir ; c’est à elle aussi que doit se fier Auguste qui part pour de lointaines expéditions ; c’est d’elle, mais sans trop de confiance, qu’il faut espérer un remède aux tristesses du temps[1]. La guerre et les affaires publiques étaient les occupations les plus nobles, d’après l’ancienne morale ; mais Horace ne sait pas cacher qu’elles répugnent à son égoïsme intellectuel, et de temps en temps il loue ouvertement la paresse civique ; il adresse à son ami Iccius, qui se prépare à partir pour la guerre d’Arabie dans l’espoir d’en rapporter de l’argent, une ode dans laquelle il s’émerveille qu’un homme qui s’était tourné vers les études, et « avait donné d’autres espérances, » parte pour la guerre[2]. Dans une belle ode saphique adressée à Crispus Sallustius, le neveu de l’historien, il traduit la pensée stoïcienne, très noble assurément, mais tout à fait antiromaine, d’après laquelle le véritable empire de l’homme, le seul qui compte, n’est pas celui qu’il exerce sur les choses matérielles, mais celui qu’il a sur ses propres passions[3]. Ainsi l’égoïsme intellectuel arrive chez lui à défigurer un des principes fondamentaux de l’ancienne morale romaine, le culte de la simplicité. Horace blâme le luxe, l’avarice et la

  1. Horace, I, 35.
  2. I, 29.
  3. II, 2.