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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/135

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Jean-Jacques pour une façon de prophète, dépositaire et annonciateur de la Vérité ; et M. Lemaître est antirousseauiste avec une passion presque égale. Du moins l’était-il, de son propre aveu, quand il a entrepris son étude. Si, chemin faisant, il a sensiblement changé, ses amis et ses adversaires se sont accordés, — pour une fois ! — à empêcher qu’on s’en aperçoive. Bon gré mal gré, il est resté dans la dépendance des uns et des autres ; on lui a fait dire beaucoup de choses qu’il ne disait pas ; on n’en a pas écouté beaucoup d’autres que les lecteurs attentifs seront bien obligés de remarquer dans son volume, puisqu’elles s’y trouvent, au risque d’en être surpris. — D’autres ouvrages ont paru, ces dernières années, dont Jean-Jacques a fourni la matière. J’aurai l’occasion d’en citer quelques-uns ; mais je m’en tiendrai autant que possible à ces deux-ci : le champ qu’ils ouvrent à la critique est déjà trop vaste pour les limites de cet article. Je signalerai pourtant l’espèce d’enquête, complète et puissante, abondante et minutieuse, à laquelle s’est livré M. L. Brédif sur son « caractère intellectuel et moral[1] : » un certain désordre apparent, qui ne gêne plus lorsqu’on en a compris les raisons, n’empêche pas ce livre d’être un guide très utile dans l’étude d’une âme dont il marque toutes les contradictions et qu’en même temps il ramène à l’unité.


I

Mme Macdonald distingue, avec raison, trois périodes dans l’histoire des jugemens portés sur l’auteur du Contrat social. D’abord, pour la majorité de ses contemporains, c’est-à-dire pour les témoins de sa vie, il est « le vertueux Rousseau. » Mme Macdonald nous dira pourquoi les Encyclopédistes et la coterie de Mme d’Épinay font exception. Ensuite, pendant la Révolution, toute critique se tait dans une apothéose qu’aucun malveillant n’oserait troubler. Enfin, pendant l’époque de réaction

  1. Du caractère intellectuel et moral de J.-J. Rousseau, par L. Brédif (in-8° Hachette, 1906). — On trouvera également des aperçus intéressans dans le Romantisme français, par M. P. Lasserre (in-8° Mercure de France, 1907), dans l’Impérialisme démocratique, par E. Seillière (in-8°, Plon, 1907), et dans Jean-Jacques Rousseau et le Droit des gens, par G. Lassudrie-Duchêne (in-8°, Jouve, 1906). — Je ne signale ici que des livres récens. A signaler aussi les deux premiers et fort intéressans volumes des Annales dont la Société J.-J. Rousseau, récemment fondée à Genève, a entrepris la publication.