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lettre du 18 avril 1756, que Tronchin fut chargé de porter à Ferney.


Dans ces conditions, dit Mme Macdonald en achevant le récit de cet épisode, Voltaire put croire, et crut sans doute qu’il avait à se plaindre de l’éloquente lettre écrite par Rousseau pour défendre l’optimisme attaqué dans les poèmes. Rousseau, de son côté, ignorant le message de Voltaire, fut froissé du fait que cette lettre demeurait sans réponse : et les premiers germes de l’irritation furent ainsi semés entre les deux grands maîtres qui n’auraient jamais dû se quereller.


Les détails ne sont pas tout à fait exacts : en réalité, Voltaire répondit par un billet qui n’est pas sans ironie[1], et où cependant le bon Jean-Jacques, encore confiant, ne vit que des complimens[2]. A vrai dire, Voltaire ne put regarder cette lettre comme une « dénonciation ; » mais, peut-être pour d’autres raisons, et sans doute parce qu’il en sentit l’éclatante supériorité, aurait-il préféré qu’elle n’eût pas été écrite. Or, il est possible que Rousseau se fût abstenu de l’écrire, s’il avait eu connaissance du message de Voltaire. On peut donc estimer qu’en négligeant de le lui communiquer, ses amis contribuèrent à lui aliéner son grand rival. Mais pour croire que cette négligence fut calculée, il faudrait admettre que Diderot et Grimm en mesurèrent les effets, mirent Thiériot dans leur jeu, prévirent que Rousseau répondrait, qu’il le ferait par un chef-d’œuvre, que même ce chef-d’œuvre serait publié plus tard, sans l’autorisation de l’auteur ni du destinataire. C’eût été de la divination ! En réalité, si cet incident a de l’importance et si nous l’avons signalé, c’est parce qu’il nous offre le type ou le schéma d’autres incidens qui devaient se multiplier dans la suite.

Mais, s’il s’en produisit plusieurs qui peuvent être pareillement attribués à la négligence ou au hasard, il y en eut aussi où la malveillance et la perfidie éclatent dans la crue lumière dont Mme Macdonald a réussi à les éclairer. En voici un frappant exemple.

On peut lire, dans la Correspondance littéraire de juillet 1756[3],

  1. Le 12 septembre, N° 3233 de l’édition Garnier.
  2. Voyez sa lettre à Tronchin, 25 janvier 1757, dont un passage est publié dans Sayous, le Dix-huitième siècle à l’étranger, I, p. 258-59. Cf. H. Tronchin, Théodore Tronchin, Paris, 1906, p. 246-59.
  3. Éd. Tourneux, III, p. 24945.