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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/153

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recherches de Mme Macdonald, il avait très bien compris, d’après les documens les plus répandus, que la conduite de Grimm et de Diderot envers Rousseau avait pu justifier ses pires soupçons, troubler profondément son âme longtemps confiante. Mais il n’en avait pas moins diagnostiqué, à la seule lecture des Confessions, un état maladif. Il en trouve le premier éclat positif, ou la première preuve, dans la grande lettre à Hume du 10 juillet 1766[1]. Non qu’il fût tenté de donner raison à Hume : au contraire, il constate que Rousseau eut mille bons motifs de se plaindre de lui ; mais il constate en même temps que Rousseau se figura que Hume, d’accord avec ses ennemis, l’avait délibérément attiré en Angleterre pour le déshonorer, et que c’était passer la mesure et tomber dans le délire de la persécution :


Rousseau, conclut-il, ne savait pas tout, mais il en savait assez pour pouvoir avec raison reprocher à Hume son manque de tact et rompre le lien de leur amitié. Aussi n’est-ce pas dans sa condamnation de Hume que se trouve l’élément maladif (das Krankhaft), mais en ceci, qu’il fit descendre d’un plan profondément médité, avec les actions de Hume, presque tout ce qui lui arriva en Angleterre, et qu’en enchaînant les faits isolés (das Einzelne) avec la plus grande perspicacité, il reconnut partout l’intention réfléchie de lui nuire (p. 168).


Bien des incidens connus, sur lesquels il serait oiseux d’insister ici, montrent à quel point l’interprétation du docteur Möbius approche de la vérité, et de quelle manière Jean-Jacques se laissait emporter, par des observations vraies, dans le règne du délire. Les témoignages de ses plus intimes amis viennent aussi corroborer l’impression douloureuse et certaine que dégagent tant de passages des Confessions, des Rêveries, de la Correspondance, et surtout les Dialogues. Il est à peine nécessaire d’en invoquer aucun, tant ils sont connus. Je rappellerai pourtant celui de Corancez, parce que Mme Macdonald le cite parmi les amis les plus fidèles et les mieux renseignés de Jean-Jacques[2]. Dans les lettres que ce brave homme écrivit au Journal de Paris[3]pour répondre à l’ouvrage de Dusaulx[4], on relève des traits comme ceux-ci :

  1. Hachette, DCCLXXXV.
  2. I, 14.
  3. De J.-J. Rousseau, extrait du Journal de Paris des no 251, 256, 258, 259, 260 et 261 de l’an VI. Je renvoie au tirage à part, publié sans autre indication.
  4. De mes rapports avec J.-J. Rousseau, in-12, Paris, l’an VI, 1798.