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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/217

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bien que les images peuvent agir sur les sécrétions. Les souvenirs pénibles ne provoquent-ils pas, suivant les cas, la sueur ou les larmes ? L’eau ne nous vient-elle pas à la bouche, à la vue d’un fruit que nous aimons ? Nous savons également que, chez les sujets impressionnables, l’idée qu’ils vont rougir suffit pour amener la rougeur ; mais ce sont là des faits très simples de la vie végétative, et la question est justement de savoir si, dans des cas anormaux, une représentation très vive du crucifiement peut déterminer les faits autrement compliqués que nous avons décrits.

Il n’est pas sans intérêt de remarquer que, bien avant que la psychologie pensât à des explications de ce genre, quelques auteurs catholiques s’y étaient plus ou moins arrêtés.

François Pétrarque, dans le livre II de la Vie solitaire, appelle les plaies de saint François les marques merveilleuses des stigmates divins ; mais, dans le livre VIII de sa Correspondance, il écrit : « Sans aucun doute les stigmates de saint François eurent l’origine suivante : il s’attacha à la mort du Christ par de si fortes méditations qu’il la fît passer dans son esprit, se vit crucifié lui-même avec son maître et enfin réalisa dans son corps la pieuse représentation de son âme[1]. »

De même Pomponazzi, dans son livre sur l’Incantation[2], pense que les stigmates de saint François peuvent être attribués aux forces naturelles de l’imagination, à moins que l’Eglise n’en décide autrement. Saint François de Sales, dans son Traité de l’Amour de Dieu, reprend et développe la même interprétation : — Cette âme, dit-il, — ainsi amollie, attendrie et presque toute fondue en cette amoureuse douleur, se trouva par ce moyen extrêmement disposée à recevoir les impressions et marques de l’amour et douleur de son Souverain Amant : car la mémoire était toute détrempée en la souvenance de ce divin amour, l’imagination appliquée fortement à se représenter les blessures et meurtrissures que les yeux regardaient alors si parfaitement bien exprimées en l’image présente, l’entendement recevait les espèces infiniment vives que l’imagination lui fournissait, et enfin l’amour employait toutes les forces de la volonté pour se complaire et conformer à la passion du bien-aimé, dont l’âme sans doute se trouvait toute transformée en un second crucifix. Or l’âme, comme

  1. Lettre à Thomas de Garbo, médecin florentin.
  2. Chap. VI et VII.