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individuelle et la nécessité de la liquidation sociale, c’est-à-dire, selon la définition de Bakounine, « l’expropriation en droit de tous les propriétaires actuels, par l’abolition de l’État politique et juridique et l’expropriation de fait partout, autant et aussi vite qu’elle sera possible. » Les Français qui s’opposèrent à cette déclaration collectiviste reproduisirent les théories proudhoniennes, guère plus rassurantes : « La terre à qui la cultive, la maison à qui la loue, le capital à qui l’emploie. » On se donna rendez-vous pour l’année suivante à Paris libre.

Les bourgeois ne laissèrent pas aux ouvriers le privilège de la violence. Victor Hugo, empruntant à Garibaldi son rôle et sa littérature, demanda au Congrès de la Paix à Lausanne, dans la langue de la démagogie universelle, de « signifier à qui de droit que la guerre est mauvaise, que le meurtre, même glorieux et royal, est infâme, que le sang humain est précieux, que la vie est sacrée. Qu’une dernière guerre soit nécessaire, hélas ! je ne suis, certes, pas de ceux qui le nient. Que sera cette guerre ? Une guerre de conquête ? Quelle est la conquête à faire ? La liberté. » Il demanda l’embrassement de la république et du socialisme, souhaita que notre liberté « immaculée et inviolée fût comme la Jungfrau, une cime vierge en pleine lumière. Je salue la révolution future ! » Une grève éclata à Aubin dans l’Aveyron (8 octobre), qui fournit encore un aliment aux déclamations révolutionnaires. Douze cents ouvriers des mines suspendirent tout travail, demandant une augmentation de salaires et le renvoi ou la démission de l’ingénieur en chef. Ils se livrèrent à des manifestations d’une brutalité extrême. Les représentations bienveillantes du préfet étant restées vaines, trente hommes de troupe furent envoyés pour protéger les ouvriers paisibles et laborieux. Les grévistes se précipitent sur eux, essaient de les désarmer, les accablent de pierres, de débris de fonte et même de barres de fer rougies au feu ; plusieurs hommes sont blessés. L’officier, conformément au règlement militaire qui prescrit aux hommes attaqués de se défendre, les voyant acculés, écrasés par le nombre, leur crie : « Défendez-vous. » Les soldats tirent et environ quatorze morts et vingt blessés tombent. Les journaux réclamèrent justice contre le lieutenant qu’ils appelaient un bourreau. Le ministre de la Guerre Le Bœuf ordonna une enquête, et l’officier ayant été jugé irréprochable, loin de le frapper, il