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Et la lettre se termine par une liste de poèmes et de romans dont Chamisso annonce l’envoi à son ami, en l’engageant à les lire.


Dans les autres lettres de Chamisso à La Foye, écrites avant et après celle-là, le poète ne parle guère à son ami que de poésie et d’amour. Il l’entretient de son Almanach des Muses, qu’il a fondé à Berlin, et qui va devenir le véritable berceau de la nouvelle école romantique allemande. Mais surtout, il lui parle des femmes dont il est amoureux ; et l’on peut bien dire qu’il ne vit que de leur pensée. Ses lettres nous en laissent apercevoir plus d’une demi-douzaine, dont chacune séduit le jeune homme par quelque aspect nouveau de « l’éternel féminin. » Souvent il en aime trois, parfois quatre, en même temps, et avec la même ardeur toute lyrique, s’ingéniant à leur prêter non seulement des vertus merveilleuses, mais des souffrances inconnues au monde jusqu’alors. Dans la fièvre charmante de la vingtième année, il ne peut voir une femme sans l’aimer ; et j’ajouterai que, ici encore, il les aime « à la française, » avec une galanterie plus sensuelle, à la fois plus entreprenante et plus passagère, que celle où nous ont accoutumés les autres poètes allemands.

Adorables figures de jeunes Berlinoises, je voudrais pouvoir m’arrêter à les dessiner, d’après les rapides esquisses semées tout au long des lettres de Chamisso ! C’est, par exemple, la fille d’un professeur de l’Académie militaire, Maschinka Burja, que Chamisso a rencontrée dans une famille amie, au plus fort de sa passion pour une autre femme. « Je dois pourtant t’avouer, bien cher ami, que ma conscience n’est pas tout à fait pure, malgré mes belles protestations. Car suis-moi, maintenant, sur une autre scène ! A Potsdam, il y a quelques semaines, dans le cercle des filles d’Itzig, j’ai vu fleurir, à peine remise d’une longue maladie, une amie de la maison, Maschinka Burja. La petite jeune fille n’est pas jolie, et je dois déjà l’avoir rencontrée souvent sans la remarquer : mais elle est, avec toutes ses souffrances physiques, gaie, compatissante, féminine et voulant être féminine, dépourvue de science et cependant instruite. Quelques entretiens, pendant une promenade en bateau, sur l’honneur, l’éducation et la vocation de la femme, nous ont rapprochés ; à table, nous nous sommes assis l’un près de l’autre, et avons causé, et, Dieu sait comment, nous nous sommes déjà sentis ne faisant qu’un seul être. La fois suivante, sont venues quelques agaceries : j’avais pris une fleur sur sa poitrine, et ils m’ont tous ordonné de faire un poème, pour ma bien-aimée, sur cette fleur… Une autre fois encore, j’ai