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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/469

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Les relations de Chamisso avec Mme de Staël n’ont point l’attrait romanesque de ses aventures amoureuses avec Cérès Duvernay et Helmine de Chézy : mais elles n’en forment pas moins un chapitre bien caractéristique de sa vie, et peut-être le plus intéressant de tous pour le lecteur français. En 1809, le jeune poète était revenu en France, où des amis lui avaient promis de lui obtenir un emploi de professeur, pareil à celui qu’occupait, à Caen, son cher confident La Foye. Mais Chamisso, au lieu de faire les démarches et visites que l’on attendait de lui, ne pensait plus, désormais, qu’à écrire des poèmes allemands, ou à discuter des problèmes littéraires avec ses anciens compagnons berlinois. En juillet 1810, il se rendit au château de Chaumont, où Schlegel l’avait invité pour s’occuper avec lui d’une traduction française de ses fameuses Leçons sur la littérature dramatique ; et là, tout de suite, il se sentit si profondément captivé par l’esprit et le caractère de Mme de Staël qu’il résolut de se fixer, pour toujours, auprès d’elle, renonçant à ses projets universitaires.

M. Geiger publie un certain nombre de lettres écrites par lui pendant ce séjour à Chaumont, puis aux environs de Blois, où Mme de Staël s’était transportée. En août 1810, le poète écrit à ses amis de Berlin : « La Staël n’est pas une femme ordinaire. Elle a un mélange de précision et d’enthousiasme ; elle saisit toutes les idées avec son cœur, elle est passionnée et orageuse… Pour étranger que je me sente dans sa sphère, elle m’a recherché et reconnu, m’a témoigné confiance et amitié ; et j’ai eu un grand bonheur à pouvoir l’approcher. » En septembre : « La Staël est une créature très remarquable, et d’une espèce très rare, avec le sérieux des Allemands, la flamme des gens du Midi, la forme des Français. Elle est éloquente, ouverte, passionnée, jalouse, tout enthousiasme. » Le 11 octobre : « Cette femme aurait pu m’aimer ; mais je suis devenu son ami, et ainsi nous resterons désormais. » Vers le même temps, une lettre à La Foye contient le curieux passage que voici : « Mme de Staël a pour moi une pleine confiance, une considération et une amitié parfaites. Et elle a aussi pour moi de l’amour, comme elle me l’a dit passionnément et avec des larmes, mais un noble amour qui se fond dans l’intérêt affectueux qu’elle me porte. Elle m’a dit, tout carrément, que l’amitié, auprès d’elle, ne pouvait pas aller sans l’amour. Et je suis très touché de cela, et très fier ; j’éprouve pour elle une amitié très intime, je compte sur elle ; elle est ma belle et noble amie : mais rien de plus. » Tout porte à croire, cependant, que ce sentiment aurait pris une nature plus tendre si, vers la fin d’octobre 1810, les entretiens de Chamisso et de Mme de