Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est une nécessité pour rester au ministère. L’incohérence ne lui répugne pas. Il fait quelquefois, pour en sortir, des efforts d’ailleurs maladroits qu’il suspend à la première résistance. Nous vivons dans un temps de publicité si large que tout se sait : le gouvernement est sans mystères. On a donc su un jour que M. Clemenceau avait préparé un projet de loi en vue de ramener la Confédération générale du travail à ses fonctions propres, qui sont purement économiques et professionnelles et nullement politiques. La Confédération générale du travail, étant une union de syndicats, ne peut pas avoir d’autres attributions que les syndicats eux-mêmes, et celles des syndicats sont strictement limitées pour la loi de 1884. La Confédération n’en fait pas moins de la politique, et quelle politique ! Il faut avouer qu’une ligne de démarcation exacte est difficile à tracer entre les intérêts économiques et les intérêts politiques ; bien souvent les premiers se rattachent aux seconds par un lien assez étroit ; mais, si la limite qui les sépare est incertaine, l’incertitude cesse lorsqu’on s’éloigne de ce terrain indivis, et c’est ce que fait la Confédération. Elle ne reste pas dans le voisinage de la frontière commune où on peut équivoquer ; elle se jette dans la pleine mer de la politique, faisant de l’anti-patriotisme et de l’anti-militarisme les deux principaux objets de sa propagande. M. Clemenceau a voulu l’arrêter dans cette voie, et il avait bien raison de le vouloir ; mais il n’a pas su comment s’y prendre. Les lois actuelles lui ayant paru insuffisantes, il en a préparé une nouvelle dont nous ne savons trop ce qu’il faut penser, car nous ne l’avons pas vue et nous ne la verrons jamais. Tout ce que nous savons, c’est que ses deux collègues plus spécialement socialistes, M. Briand et M. Viviani, lui ont déclaré qu’il leur serait impossible de rester dans un cabinet qui prendrait, ou aurait seulement l’air de prendre parti contre les libertés syndicales. Devant cet ultimatum, qu’a fait M. Clemenceau ? Placé dans l’alternative de se soumettre ou de se démettre, il s’est soumis, et a renoncé à son projet de loi. Ce n’est pas le projet lui-même que nous regrettons : qu’il ait sombré ou non dans cette aventure, peu nous importe. Avant de faire des lois nouvelles, il faudrait appliquer les anciennes. Ce n’est pas de lois que nous manquons ! Sans chercher plus loin, le droit commun définit un certain nombre de délits et de crimes que commettent quotidiennement, à titre individuel, les membres des syndicats professionnels ou de la Confédération générale du travail. Que n’use-t-on contre eux du droit commun ? On le fait bien quelquefois ; on les poursuit, on les condamne ; mais aussitôt, une amnistie internent et