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Aucune de ces conditions n’était contraire à mes opinions ni aux actes que j’avais accomplis, sauf une, celle qui interdisait l’institution d’un premier ministre. Quelques semaines auparavant, Daru et Buffet avaient répondu à mes premières ouvertures : « Sans un chef de Cabinet il ne peut y avoir de ministère parlementaire. » Et, en effet, dans tous les pays constitutionnels il a été considéré comme indispensable qu’il y eût un premier ministre représentant et défenseur de la pensée commune, non seulement contre le souverain, mais contre les initiatives personnelles de chaque ministre. L’Empereur était disposé à me conférer le titre, non de premier ministre, mais de vice-président du Conseil. Ce furent les parlementaires qui s’opposèrent à l’inauguration du régime parlementaire complet. Néanmoins, comme c’était contre moi personnellement qu’était dirigée cette surprenante restriction et que je ne voulais pas faire échouer la création du premier ministère responsable par une exigence qu’eût paru dicter une infatuation personnelle, j’acceptai sans mot dire toutes les conditions, et j’écrivis à l’Empereur : « Sire, malgré des critiques inévitables, notre ministère était bien accueilli et, commenté par les charmantes paroles de Votre Majesté, il eût été une fin très heureuse de la crise. La lettre que j’écris à M. Magne et que je joins à celle-ci indique le résultat de l’ouverture qui m’a été imposée… Me voilà donc obligé de tenter une combinaison avec ces messieurs ou de m’unir de nouveau à un homme qui ne m’inspire plus aucune confiance et qui ne doit avoir que de mauvais sentimens pour moi. Je conseille à Votre Majesté de m’autoriser à prendre le premier parti et à m’adresser à MM. Daru, Talhouët, Segris, Buffet. Les deux premiers sont vice-présidens et par conséquent appartiennent constitutionnellement à la majorité de la Chambre. Un ministère ainsi composé enlèverait l’opinion et ne rencontrerait aucune résistance redoutable dans la Chambre. Ces messieurs accepteront-ils ? Oui, si Votre Majesté consent à recevoir M. Daru avec moi, et à lui affirmer qu’Elle ne le croit pas un orléaniste, qualification contre laquelle il proteste avec indignation. Si cette dernière tentative échoue, il n’y a plus qu’à composer un ministère quelconque, car il faut que tout soit fait lundi matin ; l’opinion commence à s’impatienter. Si Votre Majesté approuve ces idées, Elle n’a qu’à me le faire savoir. A dix heures, demain, j’entrerai d’abord seul, puis j’introduirai M. Daru (1er janvier). »