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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/554

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sentais le plus fort. D’abord auprès de l’Empereur, avec lequel il fallait toujours compter, et qui, me rendant les sentimens que je lui témoignais, m’appartenait plus qu’à eux. Ensuite auprès de la majorité de la nation, qui connaissait mon nom, tandis que le leur, en dehors des salons, lui était absolument inconnu ; enfin auprès du Corps législatif, car malgré le talent de plusieurs d’entre eux, par la nature de mon esprit et de mon humeur, par l’habitude de la lutte, j’étais appelé à me trouver plus souvent sur la brèche tenant le drapeau en main ; et c’est celui qui est le premier au combat que saluent comme chef ceux-là mêmes qui ont décidé qu’il serait le dernier. On pouvait donc, tant qu’il plairait, prétendre que j’étais admis comme par grâce dans le ministère Daru-Buffet ; j’étais sûr que le ministère du 2 janvier serait le ministère d’Emile Ollivier. Du reste, tous ces procédés protocolaires, d’apparence blessans, disparurent si vite, dans l’affabilité et la bonne grâce des rapports personnels, qu’en vérité j’aurais été trop susceptible si je les avais ressentis.


VI

Il n’y a jamais eu, en effet, dans un gouvernement une réunion d’hommes plus dignes de respect par le mérité et par le caractère que les membres du ministère du 2 janvier. Il n’en était aucun qui ne jouît de l’autorité morale et de la considération sociale que donnent l’intégrité de la vie et l’irréprochable correction de la conduite ; aucun qui n’acceptât le pouvoir autrement que comme un sacrifice fait au pays et qui, dédaigneux des jouissances que les ambitieux en attendent, y cherchât autre chose que le travail et la lutte pour le bien ; aucun qui ne fût disposé à quitter sa charge avec plus d’empressement qu’il ne l’avait prise, aucun qui voulût y rester un instant le jour où son programme de liberté serait compromis.

Dans ce Cabinet, les ministres militaires formaient une catégorie à part, puisque, choisis par l’Empereur, ils relevaient de lui seul et que je n’en étais pas responsable. Ce sont surtout les ministres choisis par moi qu’il est intéressant de caractériser.

Sur le berceau de Napoléon Daru avaient brillé toutes les splendeurs du premier Empire. Napoléon et Joséphine lui avaient servi de parrains. De l’École polytechnique il avait passé dans