Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concordent à l’éclaircir, on s’aperçoit d’une chose : c’est que le paysagiste a toujours tendu à limiter plus étroitement le champ où l’art rivalise avec la nature.

L’évolution a été lente, mais continue, depuis le jour où Van Eyck réunissait autour de ses chevaliers et de ses « saints ermites, » pour leur faire honneur, tous les rochers, toutes les essences d’arbres qu’on n’a jamais vus sous le même climat, toutes les fleurs, tous les horizons, tous les monumens, toutes les villes qu’il connaissait, jusqu’au jour mémorable où M. Raffaëlli chercha laborieusement, dans la banlieue parisienne, quelque coin de terre à reproduire où, par une chance extraordinaire et un concours de circonstances inouï, il n’y eût absolument rien. Dans cette évolution qui se poursuit, très constamment, depuis le paysage encyclopédique des Poussin, des Brueghel, des Paul Bril ou des Carrache, jusqu’à celui de Constable ou de George Michel, de celui de Constable à celui de Rousseau, de celui de Rousseau à celui de Claude Monet, vous trouverez qu’à chaque étape décisive, l’artiste limite le champ de sa concurrence avec la nature, afin d’y recouvrer plus d’avantages, ou qu’il se résigne à rendre de moins en moins d’impressions à la fois, afin de porter tout son effort sur celle qu’il a choisie. Il lui a fallu une très longue éducation et des siècles d’expérience pour qu’il s’aperçût que n’ayant à sa disposition ni l’air, ni la lumière et la gamine infinie de son éclat, ni les trois dimensions, il ne pouvait donner une idée de ce qu’il avait éprouvé dans la nature, que s’il parvenait, par quelque stratagème, à éliminer beaucoup des impressions qu’il y avait ressenties. De l’ambition première qu’il avait de tout rendre dans ce qu’il admirait parmi la nature, le paysagiste s’est résigné, peu à peu, à rendre de moins en moins et en fin de compte, à ne rendre, à la fois, qu’une parcelle infime de ses impressions.

L’un s’est dévoué à rendre le visage de l’Eau. L’autre simule sur l’éclatante blancheur des maisons au soleil le lacis bleuâtre des ombres portées par les branches. Un troisième s’attache à l’étude des parasites engainant un arbre et rendant incertaine son essence. Un quatrième découvre la région des toits, note la grave assemblée des cheminées, et les solennels hiéroglyphes tracés dans l’air par des fumées d’origines modestes et domestiques. Comment une vague entre dans le tunnel d’un rocher, s’y déploie, s’y brise, retombe sur elle-même, se replie en un seul