Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/599

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau les obligations des hommes ? Ont-ils découvert un mobile nouveau à leurs actions ? Ont-ils donné un autre fondement ou même une autre explication à leurs devoirs ? Ont-ils placé la sanction des lois morales ailleurs ? Voici, pour mon compte, coque j’entrevois au milieu de l’obscurité profonde qui enveloppe à mes yeux un pareil sujet : le christianisme me paraît avoir fait une révolution ou, si vous l’aimez mieux, un changement très considérable dans les idées relatives aux devoirs et aux droits, idées qui sont, en définitive, la matière de toute science morale.

Le christianisme ne créa pas précisément des devoirs nouveaux, ou, en d’autres termes, des vertus entièrement nouvelles ; mais il changea la position relative qu’occupaient entre elles les vertus. Les vertus rudes et à moitié sauvages étaient en tête de la liste ; il les plaça à la fin. Les vertus douces, telles que l’humanité, la pitié, l’indulgence, l’oubli même des injures, étaient des dernières ; il les plaça avant toutes les autres. Premier changement.

Le champ des devoirs était limité. Il l’étendit. Il n’allait guère plus loin que les concitoyens. Il y fit entrer tous les hommes. Il renfermait principalement les maîtres ; il y introduisit les esclaves. Il mit dans un jour éclatant l’égalité, l’unité, la fraternité humaine. Second changement.

La sanction des lois morales était plus encore dans ce monde que dans l’autre. Il plaça le but de la vie après la vie et donna ainsi un caractère plus pur, plus immatériel, plus désintéressé, plus haut à la morale. Dernier changement.

Toutes ces choses avaient été vues, montrées, prêchées avant lui. Lui seul en fit un ensemble, en lia toutes les parties et, faisant tourner cette nouvelle morale en religion, en inonda toutes les intelligences.

Nous avons vécu là-dessus pendant une longue suite de siècles. Y avons-nous changé quelque chose d’essentiel depuis peu ? Voilà ce que je n’aperçois pas clairement. Nous avons peut-être ajouté des nuances aux couleurs du tableau, mais je ne vois pas que nous y ayons mis des couleurs entièrement nouvelles. La morale de nos jours, telle que je la vois se révéler dans les paroles, dans les actes publics, dans les actions individuelles, dans le partage incessant de notre société loquace (j’ignore ce qui est imprimé dans les gros livres sur ce sujet), la morale moderne, dis-je, me parait être revenue, il est vrai, dans