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sans républicains soit une machine difficile à faire marcher.

Vous comprenez, mon cher ami, qu’il me tarde de m’éloigner de ce coupe-gorge parlementaire et de fuir cette politique florentine. Jeu ai, d’ailleurs, une trop bonne raison. Ma santé demande encore les ménagemens les plus extrêmes. J’attends donc impatiemment la chaleur pour me rendre chez moi à Tocqueville (par Saint-Pierre-Eglise, Manche). C’est là qu’il faudra m’adresser les lettres.

M. d’Avril m’a rendu un compte excellent de votre établissement en Suisse et de votre position vis-à-vis de M. Reinhard, dont je suis d’autant plus satisfait pour vous qu’il est homme de mérite.

A. T.


Paris, le 14 mai 1850.

J’aurais dû répondre beaucoup plus tôt, mon cher ami, à la lettre très intéressante que vous m’avez écrite le 11 du mois dernier. Mais vous connaissez celle vérité qui mériterait d’être élevée au rang de proverbe : on ne fait rien, quand on a peu à faire. Ce n’est pas ainsi que se passaient les choses il y a un an, et dans ce temps-là je trouvais le temps d’écrire à mes amis après m’être occupé des affaires de toute l’Europe. Aujourd’hui que je ne m’occupe pas même de mes propres affaires, je n’ai de loisir pour écrire à personne.

Je suis dans l’admiration de votre bon sens suisse. Il vaut cent fois mieux que notre génie français comme nous disons en France. La sagesse de celle petite nation telle que vous me la dépeignez est vraiment digne d’admiration, et si tous les petits peuples se conduisaient ainsi, il n’y aurait bientôt plus qu’eux qui méritassent le titre de grands. Car la grandeur du corps n’est rien ; c’est le mérite de l’éléphant et de la baleine. La modération de vos conservateurs me fait envie. Plût à Dieu que les nôtres prissent modèle sur ceux-là ! Mais du train dont ils vont, ils ne tarderont pas à nous redonner le goût des révolutions.

J’ai lu avec le plus grand intérêt dans votre lettre ce que vous dites sur l’état des fortunes en Suisse et sur Ludion qu’on pourrait exercer sur ce pays à l’aide des lois de douane. C’est là, malheureusement, une source d’influence qui n’est guère à notre portée. Le malheur des pays libres est de ne pouvoir presque jamais faire de la diplomatie au moyen des tarifs, les moindres