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assez aisément les influences littéraires qui se sont exercées sur sa personnalité naissante. Car il est entendu que Loti n’a jamais rien lu ; et je veux bien croire, puisqu’il le dit, que c’est vers trente ans seulement qu’il connut « la première œuvre de Flaubert, que son ami Daudet l’obligea à lire, » et qui lui fut d’ailleurs « une révélation charmante. » Ce serait donc de cette époque que daterait certain exemplaire de Salammbô copieusement annoté par lui. Que le capitaine de vaisseau garde fidèlement ce souvenir du jeune enseigne ! Ces notes nous seront un jour aussi précieuses que le Commentaire de Chénier sur Malherbe… Pourtant, de son aveu même, si Loti « par hasard a ouvert un livre, il est très capable de se passionner pour lui quand il en vaut la peine. » Et c’est ainsi que, vers la vingtième année, « dans le calme des soirs en mer, à bord du premier navire qui l’emporta vers ces pays du soleil rêvés depuis son enfance, » il lut « avec passion » deux volumes de Feuillet, Sybille et Julia de Trécœur. Je le soupçonne aussi d’avoir lu, et non sans profit, « dans son extrême jeunesse, » ou depuis, Leconte de Lisle et Baudelaire, Fromentin et Sully Prudhomme, Gautier, les Goncourt, et Renan, — Renan, dont le ton de pensée et de style s’apparente si bien au sien, — et les grands poètes romantiques, Lamartine et Musset surtout,, et les maîtres de l’idylle exotique, Bernardin, Chateaubriand, — Chateaubriand, dont on ne dira jamais assez l’influence persistante sur l’auteur de Rarahu et de Ramuntcho… On voit les origines livresques de ce grand poète : il résume et synthétise en lui tout ce que l’exotisme de la fin du XVIIIe et de toutes les écoles du XIXe siècle a comme incorporé de préoccupations nouvelles et de sensations inédites à notre littérature nationale.

Mais il ne se contente pas d’être un simple écho, et, dès ses premiers écrits, parmi bien des enfantillages, des truculences et des affectations romantiques, sa personnalité se dessine avec une remarquable netteté. — Le romancier d’Aziyadé a déjà une forme bien à lui. Il parle une langue exquise de souplesse musicale, d’élégante sobriété, de simplicité directe, et d’une puissance d’évocation et de suggestion extraordinaire. J’ouvre au hasard son livre de début, et je tombe sur ces quelques lignes :


La vue est belle de là-haut. Au fond de la Corne d’Or, le sombre paysage d’Eyoub ; la mosquée sainte émergeant avec sa blancheur de marbre d’un bas-fond mystérieux, d’un bois d’arbres antiques ; et puis des collines