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rugissante, la mer féconde et nourricière, la mer dévoreuse d’hommes, la mer qui attire et qui tue, qu’on maudit et qu’on aime tout ensemble. C’est elle qui a suggéré à l’écrivain l’idée grandiose et sombre, qui revient comme un douloureux leit motiv dans son récit, de ces fiançailles quasi mystiques de Yann avec « la grande chose émouvante, mystérieuse. » C’est elle qui, semblable à la fatalité antique, domine, implacable, toute l’action, comme elle domine, dans la vie réelle, toutes les humbles destinées qui lui sont confiées : elle fait planer, sur l’œuvre tout entière, je ne sais quelle secrète horreur, et un peu de cet effroi que nous inspire toujours la vue des grandes forces naturelles, dans leur aveugle déchaînement.

À cette poésie de la mer s’ajoute et se môle la poésie plus intime de l’amour. Le peintre, souvent « troublant » des amours de Jean Peyral et de Fatou-Gaye a compris qu’en abordant ce nouveau sujet, il devait changer sa manière, sous peine de commettre une grave faute de goût littéraire et moral, et il y a excellemment réussi. Son inspiration, son expression aussi s’est simplifiée, épurée. « C’est que chez ces simples, écrit-il, il y a le sentiment, le respect inné de la majesté de l’épouse ; un abîme la sépare de l’amante, chose de plaisir… » Voilà la note juste et le sentiment exact. Certes, l’écrivain demeure hardi, — car il n’a pas fréquenté impunément chez Flaubert, chez les Goncourt et chez Daudet, et la pruderie n’est point son fait, — mais il sait être discret, et il ne dédaigne point d’être délicat. Il y a certaines pudeurs qu’il devine et qu’il exprime à merveille. « En dehors de ce baiser de frère qu’il lui donnait en arrivant et en partant, il n’osait pas l’embrasser. Il adorait le je ne sais quoi invisible qui était en elle, qui était son âme[1], qui se manifestait à lui dans le son pur et tranquille de sa voix, dans l’expression de son sourire, dans son beau regard limpide… » Cette conception hautement spiritualiste de l’amour, la seule du reste qui soit digne d’un vrai poète, donne à ses héros et à leur histoire une profondeur, une élévation qui les transfigurent. La réalité est ici dépassée, devinée, interprétée, et, sans cesser d’être

  1. Cf. dans Fantôme d’Orient, p. 230 : « La notion m’est venue, furtive, inexplicable, mais ressentie, d’une âme persistante et présente… » C’est la reprise — ou une réminiscence — des vers célèbres de Sully Prudhomme :
    J’ai dans mon cœur, j’ai sous mon front
    Une âme invisible et présente…