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qu’elles peuvent avoir de plus étrange, se plaît à multiplier les points de contact avec nos souvenirs et nos habitudes quotidiennes. A chaque instant, il retrouve dans les aspects des régions lointaines comme un reflet des paysages de France. Tel coin de la Palestine, par exemple, lui rappellera « la Beauce ou certaines régions normandes. » « Ceux-là seuls, dit-il, connaissent tout le charme et toute l’âpre tristesse des voyages, qui ont dans le fond de lame un invincible attachement au recoin natal[1]. » Et ainsi, son exotisme s’aiguise et se tempère tout ensemble, se complique et s’humanise de tout ce que les souvenirs du sol natal mêlent de filiale piété aux divers « propos d’exil » dont Loti a enchanté notre curiosité et bercé notre inquiétude.

C’est le propre des civilisations très avancées et des âmes très raffinées d’éprouver, par besoin du contraste et du changement, un goût très vif pour la simplicité des vieux âges et des mœurs primitives. En vertu d’une de ces « harmonies préétablies » qui font du grand écrivain l’homme prédestiné à réaliser les aspirations d’une génération tout entière, Loti, plus qu’aucun autre, a satisfait ce besoin, que les Alexandrins et les contemporains de Rousseau ou de Bernardin ont si bien connu avant nous.


Ce qui est très particulier chez vous, — se fait-il dire quelque part, — ce qui donne à vos livres cette étrangeté qui attrape les badauds, c’est le mépris que vous semblez faire des choses modernes, c’est l’indépendance aisée avec laquelle vous paraissez vous dégager de tout ce que trente siècles ont apporté à l’humanité pour en revenir aux sentimens simples de l’homme primitif… Seulement vous employez toutes les ressources, toutes les recherches de l’homme très civilisé, pour les rendre intelligibles, ces sentimens, et vous y parvenez dans une certaine mesure… [Fleurs d’ennui, p. 104.]


Loti, décidément, se connaît fort bien lui-même, et l’on ne saurait mieux et plus justement dire. Il est par excellence le peintre des âmes simples, des grands sentimens profonds et naturels. Tous ses héros, — et en l’y comprenant peut-être lui-même, — nous transportent à mille lieues des personnages du roman psychologique ou naturaliste. Ces derniers surtout lui sont particulièrement antipathiques, et « le monstrueux talent » de Zola et de quelques autres n’est pas pour lui en imposer. « Ces gens du monde qu’ils essaient de nous peindre, ou bien ces paysans, ces laboureurs, pareils tous à des gens que l’on

  1. L’Inde, p. 368. — Cf. Désert, p. 231 : Pêcheur d’Islande, p. 157 ; Japoneries d’automne, p. 158, etc. Le procédé, — est-ce un procédé ? — est constant dans Loti.