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été littéralement imbu et nourri, et qui, au total, inspire et soutient tant de ses livres. Et d’ailleurs, cette simple possibilité rationnelle ne suffit-elle pas pour y fonder l’espoir chrétien ? Ecoutons là-dessus la rêverie du poète au Saint-Sépulcre :


Le Christ n’était pas chargé de soulever pour nous le voile des causes et des phénomènes inconnaissables, mais peut-être d’apporter seulement au petit groupe humain une lueur, une indication certaine de durée et de revoir en attendant les révélations plus complètes d’après la mort. Qu’importe, mon Dieu, un peu plus d’incompréhensible ou un peu moins, puisque, par nous-mêmes, nous ne déchiffrerons seulement jamais le pourquoi de notre existence ! Sous l’entassement des nébuleuses images, rayonne quand même la parole d’amour et la parole de vie ! Or, cette parole, que Lui seul, sur notre petite terre perdue, a osé prononcer, — et avec une certitude infiniment mystérieuse, — si on nous la reprend, il n’y a plus rien ; sans cette croix et cette promesse éclairant le monde, tout n’est plus qu’agitation vaine dans de la nuit, remuement de larves en marche vers la mort.


À cette « agitation vaine, » à ce « remuement de larves en marche vers la mort » qu’il a si souvent et si éloquemment décrits lui-même, Loti, comme tant d’autres de sa génération, n’a pu finalement se résigner. Son hérédité, son éducation chrétiennes lui ont d’abord mis au cœur une inquiétude, une nostalgie du divin, qu’il a pu tromper, mais non pas détruire. « Je ne pourrai jamais marcher avec les multitudes qui dédaignent le Christ ou l’oublient. » D’autre part, à courir le monde, il a vu trop d’humaines détresses, trop de bras levés vers un au-delà réparateur, vers une suprême justice et une suprême bonté, pour croire à l’efficacité des simples remèdes humains, pour admettre aussi « que tant de supplications ne soient entendues de personne. » « Un Dieu — ou seulement une suprême raison de ce qui est — ayant laissé naître, pour tout de suite les replonger au néant, des créatures ainsi angoissées de souffrances, ainsi assoiffées d’éternité et de revoir ! Non, jamais la cruauté stupide de cela ne m’était, encore apparue aussi inadmissible que ce soir ! » Ses réflexions et ses lectures l’ont d’ailleurs amené à mettre en doute la tranquille assurance des négations courantes[1], et il entrevoit fort nettement la possibilité, pour« les plus compliqués et plus clairvoyans que nous sommes, » de revenir à la foi des humbles « par un effort supérieur de notre

  1. Voir dans la Galilée (p. 215-216), la curieuse page où il établit, « quoi qu’on ait voulu dire, » la supériorité de Jésus sur Çakya-Mouni.