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le veut ! Le Midi l’aura ! » Nous ne nous demanderons pas si la cause du vin à vendre est vraiment aussi noble et aussi sainte que celle de la foi religieuse à défendre et si les épithètes de M. Albert sont toujours bien choisies ; mais, si les intérêts ne sont plus les mêmes, on est surpris, troublé, inquiet de la facilité avec laquelle les vieux sentimens renaissent à l’évocation des vieilles traditions. Ils semblaient ensevelis pour toujours au fond des consciences modernisées, et le moindre appel les réveille en sursaut !

Après M. Marcelin Albert, M. Ferroul a pris la parole, et lui aussi a été couvert d’acclamations bruyantes. « Depuis, a-t-il dit, que j’assiste à ce mouvement prodigieux de la population du Languedoc et de la Catalogne française, » — remarquez en passant ce mot : la Catalogne française. — « debout pour réclamer directement des pouvoirs publics ce que dix ans de plaintes n’ont pu lui faire obtenir, un souvenir m’obsède : le souvenir d’une autre grande misère que près de huit cents ans n’ont pu effacer. Je veux dire le Midi albigeois dévasté, pillé, mis à sac par les barons féodaux du Nord ! » Les barons féodaux du Nord, cela veut dire aujourd’hui les producteurs de betterave et les fabricans de sucre. Ainsi, nous autres, à Paris, nous vivons dans l’idée rassurante que la France est le pays du monde dont l’unité nationale est le mieux faite, le plus puissamment réalisée à travers tant de douleurs, d’espérances et de gloires communes, et que rien ne saurait l’ébranler dans les cœurs : il suffit cependant de la mévente des vins pour qu’elle soit ébranlée dans les imaginations. Et assurément c’est un symptôme dont il ne faut pas exagérer l’importance ; mais il ne faut pas non plus la méconnaître tout à fait.

Comment n’être pas frappé du langage que M. Marcelin Albert a tenu à un rédacteur de l’Echo de Paris et où il lui a exposé ingénument ses vues d’avenir ? Ce n’est pas là un discours enflammé prononcé dans une réunion publique, mais une confidence faite à mi-voix dans une conversation familière. Parlant de la fédération des communes du Midi : « Je compte bien, a dit M. Albert, qu’elle survivra à ces tristes circonstances. Je vois en elle le germe d’un petit État dans le grand État de France, s’occupant des intérêts communs de la région, intervenant près des pouvoirs publics, empêchant les haines et les discordes de se produire. Sur ce dernier point, on nous permettra d’être sceptiques après les cris de guerre dont Carcassonne a retenti. « Le Midi a failli mourir de politique, a continué M. Albert, il vient de se ressaisir, mais c’est une maladie que l’on ne peut avoir impunément deux fois. » Et comme le rédacteur de l’Écho de Paris