éprouvaient contre elle la rancune persistante de la décapitation de Turin, sentiment commun à tous les Piémontais : « Florence ! Florence ! s’écriait Lanza, quelle page tu te prépares dans l’histoire de l’Italie ! » Sella ajoutait à ce sentiment une admiration dévouée pour la Prusse, qui se manifestait en antipathie déclarée contre notre pays, bien qu’il y eût étudié dans sa jeunesse. La rancune de Lanza eût pu fléchir, le cas échéant, par l’évocation des souvenirs de 1859 ; l’antipathie de Sella était implacable, toujours prête à se transformer en hostilités effectives, et comme, quelque tenace que fût Lanza, Sella l’était encore davantage, son opinion certainement l’emporterait. Dans un cas grave, nous étions donc assurés de l’indifférence au moins, et probablement de la malveillance du nouveau ministère. L’opinion de la place ou des cercles parlementaires ne différait guère. Les révolutionnaires Mazziniens ou Garibaldiens, et même les députés de la Gauche, en hostilité habituelle avec le Cabinet, n’avaient pas à notre égard d’autres dispositions. Plusieurs d’entre eux, Mancini entre autres qui me l’a raconté, s’étaient rendus à Berlin et avaient noué des relations particulières avec Bismarck. Le Roi seul nous restait vraiment favorable, malgré ses coups de langue qui n’épargnaient pas l’Empereur. Il se croyait lié par ses engagemens d’honneur.
Bismarck n’ignorait pas cette situation d’esprit et il ne l’en effrayait pas, s’il en faut croire Hohenlohe à qui il aurait dit : « L’alliance de l’Italie avec la France n’a pour le moment aucune valeur. Les Italiens ne marcheraient pas, même si Victor-Emmanuel, capable de tout pour de l’argent et des femmes, voulait conclure un traité avec la France. »
Nos relations avec l’Angleterre conservaient leur confiante cordialité. Elle ne demandait de nous que des sentimens pacifiques, et comme elle ne doutait pas de ceux de l’Empereur, nous la trouvions partout bienveillante et amie. De plus en plus détachée de l’idée de toute intervention dans les affaires des peuples étrangers, elle ne travaillait à l’extérieur qu’à éloigner les causes de conflit. Clarendon pensait qu’on y aurait travaillé efficacement si l’on obtenait, par un désarmement réciproque, une diminution des charges militaires. L’arbitre