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vu ? Avez-vous vu ? Je sais comme elles qu’à tout ce que j’ai fait et dit il n’y a pas le sens commun et que cela est misérable, mais il lui faut du bruit et ces choses-là le divertissent ; » et s’appuyant sur le bras de ses dames, elle se mit à sauter et à danser, en disant presque à haute voix : « Hé ! je m’en ris ! Hé ! je me moque d’elles ! Je serai leur reine, et je n’ai que faire d’elles ni à cette heure, ni jamais, et elles auront à compter avec moi, et je serai leur reine. » Vainement, en femmes bien élevées, Mme de Saint-Simon et Mme de Levis, s’efforçaient-elles de la faire taire, lui représentant que tout le monde la voyait, et allant jusqu’à lui dire qu’elle était folle, car de ces deux dames elle prenait tout bien. C’était peine perdue, et jusqu’à la rentrée du Roi, la Duchesse de Bourgogne continua, sautant et chantonnant : « Hé ! je me moque d’elles ! Je n’ai que faire d’elles ! Je serai leur reine[1]. »

« Hélas ! Elle le croyoit, la charmante princesse, continue Saint-Simon, et qui ne l’eût cru avec elle ? » Elle le croyait, si bien, qu’à quelques mois de là, causant à Versailles, dans sa chambre, avec Mme de Saint-Simon et Mme de Lauzun, elle se mit, avec une nuance de mélancolie, à parler de toutes les personnes qu’elle avait connues depuis son arrivée à la Cour et qui étaient mortes successivement, puis de ce qu’elle ferait, elle-même, quand elle serait vieille, de la vie qu’elle mènerait, disant qu’il n’y aurait plus guère alors que Mme de Saint-Simon et Mme de Lauzun de son jeune temps, et qu’elles s’entretiendraient ensemble de ce qu’elles auraient vu et fait. C’était le 2 février 1712, jour de la Chandeleur, avant de se rendre au sermon, qu’elle tenait cette conversation. Dix jours après, elle n’était plus. Nous sommes arrivés en moment du drame. Il nous reste à le raconter[2].

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 88.
  2. Nous avons emprunté aux Mémoires de Saint-Simon (Édition Chéruel de 1857, p. 78 à 115) ; au Journal de Dangeau (p. 80 à 90) ; aux Mémoires de Sourches (p. 289 à 302) ; enfin aux Cahiers de Mlle d’Aumale, récemment publiés par M. Hanotaux et par nous (p. 302 à 322), le récit des derniers momens de la Duchesse de Bourgogne. Pour ne pas fatiguer les yeux du lecteur par de constantes références, nous renvoyons d’une façon générale à ces différens récits, dont celui de Mlle d’Aumale est de beaucoup le plus détaillé, et nous ne donnerons d’indication précise que pour les citations textuelles. L’auditeur de la nonciature Borio (le nonce Cusani était absent) renseignait exactement la cour de Rome sur les phases de la maladie. Mais [ces dépêches dont on a bien voulu, des Archives du Vatican, nous envoyer copie, ne contiennent aucun détail qui ne soit dans Sourches ou Dangeau.