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vit fut Mme de Maintenon. Leur émotion à tous deux était si grande qu’ils abrégèrent l’entrevue. Mais il lui fallut essuyer la visite des princes et des princesses ainsi que des personnes qui leur étaient attachées et celle de ses menins. On commença de discuter devant lui la façon dont la princesse avait été soignée, et l’on s’en prit de sa mort aux médecins. « Soit que les médecins l’aient tuée, soit que Dieu l’ait rappelée, répondit-il avec douceur, il nous faut également adorer ce qu’il permet, et ce qu’il ordonne. » À ce moment, Saint-Simon entra dans la chambre ; il fut épouvanté du regard contraint du prince, avec quelque chose de farouche, du changement de son visage et des marques livides et rougeâtres qu’il y remarqua. Le Duc de Bourgogne était debout, et les larmes qu’il retenait lui roulaient dans les yeux. À ce moment, on vint lui dire que le Roi était réveillé. Ses menins lui proposèrent une fois ou deux d’aller chez le Roi. Il ne remua ni ne répondit. Saint-Simon s’approcha, et, à voix basse, le pressa également. Voyant que le prince ne répondait point, il insista, lui représentant que, tôt ou tard, il faudrait bien qu’il vît le Roi et qu’il y aurait plus de grâce à ne pas différer. Il le prit même par le bras et le poussa doucement. « Il me jeta, continue Saint-Simon, un regard à percer l’âme, et partit. Je ne l’ai pas vu depuis. Plaise à la miséricorde de Dieu que je le voie éternellement où sa bonté sans doute l’a mis. »

Cependant, le Roi étant réveillé, tous ceux auxquels leur charge en donnait le droit étaient entrés peu à peu dans sa chambre. Elle était déjà pleine quand le Duc de Bourgogne pénétra par les derrières. Le Roi l’embrassa longuement, tendrement et à plusieurs reprises. Les paroles qu’ils échangeaient étaient entrecoupées de larmes et de sanglots. Cependant, le Roi, regardant le Duc de Bourgogne, fut effrayé de sa mauvaise mine. Il ordonna aux médecins présens de lui tâter le pouls. Ils le trouvèrent fort mauvais, et lui conseillèrent d’aller prendre le lit. Docilement il rentra dans son appartement, et ne reçut ce jour-là que son confesseur, ses menins et Chevreuse. Le reste de sa journée se passa en prières et en pieuses lectures. Il eut une forte fièvre pendant la nuit. Le lendemain, il s’efforça, à l’exemple du Roi, de reprendre sa vie régulière. Le Roi, en effet, avait donné des ordres pour aller tirer l’après-dînée ; mais, se sentant mal à la tête, il décommanda les voitures. Il n’en tint pas moins conseil, et, après le conseil, Torcy passa chez le Duc de Bourgogne, qui travailla trois