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que la Grande-Bretagne, immolant son intérêt sur l’autel du droit international, oubliât les leçons de son passé et les exigences de son avenir. A poser ainsi le problème, on hésite à espérer qu’il puisse être résolu. L’hésitation augmente lorsque, passant du général au particulier, on examine les points principaux du programme sommaire proposé par la Russie à l’examen de la conférence[1].

Considérons, par exemple, la question de la propriété privée des belligérans dans les guerres maritimes. Qui ne voit que, si cette propriété devient inviolable, la flotte anglaise perd tout moyen d’exercer contre un adversaire continental cette action décisive qui, en rendant la continuation de la guerre plus onéreuse que sa cessation, imposera la paix à cet adversaire ? Un pays continental peut perdre sa flotte et voir bombarder ses côtes, sans se sentir atteint dans ses forces vitales. Au contraire, la destruction de sa marine de commerce et l’interruption de son commerce le frappent au cœur de sa puissance économique. Supprimez le droit de capture, vous réduisez la guerre maritime à n’être que la préface de la guerre terrestre ; en d’autres termes, vous donnez une garantie contre les puissances insulaires à celles qui ne le sont pas. Et quand les premières, à tort ou à raison, se croient assurées, suivant l’expression de M. Robertson, de la « suprématie navale, » vous leur demandez, en les invitant à renoncer au droit de capture, de briser leurs armes : elles n’y peuvent consentir. De cette nécessité résultent également les règles applicables aux neutres. Si une puissance, telle que l’Angleterre ou le Japon, estime qu’elle peut se rendre maîtresse de la mer, son intérêt exige qu’elle apporte au commerce des neutres avec les belligérans le maximum de restrictions. Relisez l’histoire de l’Angleterre : vous y trouverez à chaque guerre la vérification de cette loi de sens commun. Dira-t-on qu’en signant la Déclaration de Paris de 1856, elle a renoncé à ses prétentions, puisqu’elle a souscrit au principe que « le pavillon couvre la marchandise ? » À cette objection, on peut répondre que, d’une part, l’abolition de la course, c’est-à-dire du plus grand péril qu’ait jamais connu le commerce anglais, compensait largement le sacrifice consenti par les plénipotentiaires

  1. Voir à ce sujet l’excellent volume de M. Charles Dupuis, professeur à l’École libre des Sciences politiques : le Droit de la guerre maritime, d’après les doctrines anglaises contemporaines (Paris, Pédone, 1899).