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émouvant, à l’heure du crépuscule où, dans la ville au-dessous, voix d’Européens et chansons d’indigènes s’égalisaient, de communier par le souvenir avec les soldats français partis 18 000 et arrivés 6 000… A cette pensée, les replis insondables de la perspective, l’indécision des nuances se dérobant aux contours des collines, le vide des plaines brunes, les trouées de lumière fugitive sur la moire du lac Anosy, l’ombre d’un nuage pesant sur des sillons, la sinuosité du fleuve fertilisateur, l’étendue quadrillée de routes rectilignes, les rizières tracées comme des camps, l’indéfini panorama hova prenaient une vie grandiose et historique. Tandis que les mots d’engagement, de balles, de caisson, prononcés par cet ancien sergent dont les enfans rosés se poursuivaient entre les tombeaux des vieux rois malgaches, persistaient devant l’imagination, il semblait qu’on les vît apparaître confusément au loin, nos troupes françaises, sur le fond blafard des marécages où les bourgs féodaux isolent, en des îlots de rocs et d’arbres, leurs cases accumulées.

Si, à l’arrivée sur le Plateau Central, on s’est senti d’abord repoussé, dans un recul brusque d’admiration, par l’aspect cruel. de ce calvaire aux marches rouges où ne s’accrochent que des lianes amarante, qu’on s’applique alors à voir Tananarive avec les yeux exaltés de fièvre de ces piétons la découvrant après trois mois de route, à l’extrémité de la plaine et au terme même de leur épuisement ! Aussitôt l’on éprouvera avec quelle force la grande cité barbare s’attache notre sentiment pour avoir été un jour pathétique à notre race.

Après un mouvement circulaire autour des faubourgs, l’armée entra et, par un escalier de pierre, monta jusqu’au Rova. Pendant que les indigènes, qu’on avait voulu impressionner en faisant défiler de très loin une à une toutes les pièces de notre effectif, restaient déçus de sa médiocrité et plus encore par le visage de ces blancs hâlés de soleil et de paludisme, s’efforçant par amour-propre de parader, mais déguisant mal leur accablement, nos soldats qui s’attendaient à l’abandon des villes conquises, demeuraient, dans le cauchemar de leurs souffrances, étourdis et confusément réconfortés par l’empressement aux portes, aux balcons, aux chutes des ruelles de cette population en vêtemens flottans de fête aux teintes pacifiques. Par son seul silence elle restait vaincue et lointaine, mais sa curiosité de leur entrée immédiatement la trahissait aux nôtres enfantine, légère, attirée