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Supérieures ou à leurs bureaux, endimanchés comme des commis de magasins, se privant de nourriture pour se vêtir, impeccables et étiolés, la badine au doigt et le visage émacié ; mais d’autres cultivent des jardins maraîchers, jadis inconnus, maçonnent, forgent, taillent, amassant avec l’espérance de voir leurs enfans fonctionnaires ou propriétaires de boutiques ; leur nombre augmente. Nous avons dit que les Malgaches étaient essentiellement hypnotisables : la civilisation d’une race inférieure ne saura jamais être qu’une lente suggestion par l’exemple de la race supérieure. Les progrès à Madagascar dépendent plus étroitement qu’ailleurs de l’activité et de l’honorabilité des fonctionnaires et des colons.

En conséquence, le plus grand danger tient à l’état d’esprit des Européens, qui crient à l’indigène son infériorité indéfectible, qui la proclament dans la presse. Il s’en est trouvé pour soutenir, afin d’affirmer jusqu’à l’extrême l’impossibilité de rien faire des Malgaches, que la suppression de l’esclavage, en appauvrissant l’aristocratie, a désagrégé la seule classe perfectible et que les maintys mêmes regrettent l’époque où ils étaient asservis. On a tenu les mêmes propos dans toutes les colonies. A s’entretenir avec les anciens esclaves, on perçoit que, s’ils se plaignent de leur fortune présente, comme font tous les opposans, il est vrai, en revanche, ils jouissent malignement de la liberté individuelle et en particulier du loisir de se déplacer à leur fantaisie, et ils y tiennent surtout pour leurs femmes, autrefois séparées d’eux, et pour leurs enfans qui leur étaient enlevés.


II. — LES IMPOTS ET LES CORVÉES

Il en est de même de la situation que leur crée le régime fiscal établi par le gouvernement français. Dans leur mécontentement contre celui-ci, les colons crient les premiers que le Malgache était bien moins exploité sous le régime hova ; cependant, cela n’est confirmé ni par les ouvrages sérieux écrits avant 1895, ni par les souvenirs des Vieux-Malgaches, — ainsi s’appellent couramment les Européens qui résidaient à Madagascar avant la conquête, — sauf des missionnaires anglais ou norvégiens. Il est certain que la reine n’avait pas besoin, en principe, de beaucoup de numéraire puisque aucune fonction publique n’était rétribuée ; encore cela avait*il singulièrement changé depuis la