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naturellement. Et, dans la colonisation directe, il n’y a jamais d’assimilation absolue, fantôme évoqué par les scolastiques du droit colonial, car le fonctionnaire européen, qui, supérieur au fonctionnaire hova, peut en avoir l’initiative, accommode, à moins de mauvais vouloir, les règlemens à la mentalité de ses administrés. Les doctrinaires du protectorat, au premier chef nos professeurs de l’Ecole coloniale, sont, en matière de colonisation, ce qu’ont été les grammairiens qui ont voulu à différens siècles faire la langue : en prétendant la ramener scientifiquement à ses origines, ils l’ont détournée du cours naturel de son développement. L’expansion européenne mettant en relation inévitablement brusque les Européens et les peuples sauvages, il faut laisser les indigènes s’adapter eux-mêmes à notre administration, comme ils sont forcés de s’adapter à notre commerce, à notre industrie et à notre esprit, opérer eux-mêmes leur sélection au contact immédiat de nos fonctionnaires autant que de nos colons. Au lieu de prendre l’élite, de la diriger tout entière au fonctionnarisme par l’appât des appointemens comme nous tentons à Madagascar, d’en former un corps de bureaucrates indigènes, laissons sur un même pied tous les Malgaches dans la vie civile, de façon que les facultés natives s’y développent d’elles-mêmes, s’y francisent peu à peu : alors les plus adaptés seront logiquement appelés à entrer dans nos bureaux au milieu de nous. Nous devons adopter ceux qui, par le jeu naturel de cette sélection, viennent à nous, non les élever tous de force, ce qui revient à les élever ensemble contre nous.

Sans doute le danger de séparatisme que nous avons évoqué peut être moins grave en ce que les Hovas s’élimineront d’eux-mêmes par leurs vices et par la rapidité avec laquelle nous forçons à évoluer jusqu’à les épuiser ces gens que déjà les missionnaires anglais, fervens d’édification spirituelle et de controverse, avaient détournés trop rapidement de leur esprit naturel[1]. Car, si l’on croit communément que nous allons servir par notre civilisation les Hovas, on néglige de considérer que nous créons des besoins, une vie d’effervescence et toute de

  1. Non seulement l’éducation spirituelle, mais l’éducation militaire des Hovas est tout anglaise. Andriana avait fait d’eux plus encore des laboureurs que des soldats ; sous Hadama, l’Anglais Hastie fit décréter le service obligatoire et l’armée permanente, promulguant un code militaire d’une dureté extrême où tout recul, tout abandon de poste entraînait la condamnation à être brûlé vif. Et ce sont les Anglais qui leur fournirent toujours fusils et canons.