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nettement position contre eux. Les fameuses Lettres de Dupuis et Cotonet ont été sûrement l’attaque la plus redoutable qu’ait eu à subir le romantisme triomphant. Elle partait d’un ami de la veille, elle était dirigée à coup sûr. Et non seulement Musset mettait les rieurs de son côté, mais il appliquait à la critique du romantisme une méthode d’analyse infiniment dangereuse ; il le décomposait en ses élémens successifs : il nous contait l’histoire de ses « variations. » Il faisait plus. C’était le temps où il donnait ses œuvres les plus fortes de vers et de prose : il s’était composé un art à sa mode et ne relevait plus des différentes écoles que dans la mesure où elles lui fournissaient les moyens d’exprimer son propre rêve.

On pourrait vérifier ce progrès de l’esprit de Musset en étudiant son attitude vis-à-vis du byronisme. Nous avons, pour nous y aider, une thèse soigneusement documentée sur Byron et le romantisme français[1]. M. Edmond Estève s’efforce d’y définir l’ensemble d’idées et les nuances de sensibilité qui ont concouru à former le byronisme, et il en retrace la fortune à travers quarante années de littérature française. Il n’a pas exagéré l’influence exercée par Byron sur nos poètes, dramatistes et romanciers. Musset arrive précisément à l’heure où Byron est chez nous en pleine possession de sa royauté littéraire. « La jeunesse attendait un Byron français. Elle crut le trouver en Musset, et il semble bien que, de son côté, il ait eu un moment l’ambition de le lui donner. » Personne ne s’y trompa : amis et ennemis s’accordèrent à dire qu’il « imitait Byron. » Musset s’en défendit ; l’historien du byronisme n’a pas de peine à montrer qu’à défaut d’une imitation littérale, le Musset d’avant 1835 n’en est pas moins le tributaire du poète anglais, et que, comme il arrive, il lui emprunte surtout des manies et des tics. L’un des résultats de la grande crise de sentiment d’où Musset allait sortir renouvelé sera de le faire échapper à l’influence byronienne. Il conservera toute son admiration pour Byron, mais il en prendra librement avec le byronisme : témoin certaine page de l’Histoire d’un merle blanc. Lorsque le merle blanc a découvert qu’il n’est pas fait comme les autres merles, il décide de se retrancher dans la solitude du génie et de mépriser le reste des volatiles. Il achète les Œuvres de lord Byron et met lui-même au jour un poème en quarante-huit chants. « Le sujet de mon ouvrage n’était autre que moi-même. Je racontais mes

  1. Edmond Estève, Byron et le Romantisme français, Essai sur la fortune et l’influence de l’œuvre de Byron en France de 1812 à 1850, 1 vol. in-8 » (Hachette). Voyez pages 406-448.