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dit, des « tyrannies tempérées par la rébellion, » que la menace de la révolte et la révolte elle-même sont les seuls freins qui s’opposent aux fantaisies ou à l’avidité du monarque, d’autant plus disposé à l’abus de son pouvoir qu’il se considère lui-même comme une émanation de la divinité, et que dans ces milieux de civilisation hindoue où le sacré et le profane sont entièrement confondus, la religion n’a aucun rapport avec la moralité civile.

Le roi du Cambodge était mis à l’abri de toutes représailles par la présence de nos forces militaires et navales qui avaient pour consigne à peu près unique de monter la garde autour de lui. Cette application erronée de notre devoir ne tarda pas à répandre sur les populations et sur leurs chefs eux-mêmes des maux sans nombre : pendant près de vingt ans, le Cambodge fut un des pays les plus malheureux du monde. Pressuré sans merci, livré à la dilapidation de ses biens, voyant successivement transformés en monopoles tous les produits de ses champs sans qu’une parcelle des impôts extorqués lui fît retour par une amélioration quelconque, le peuple khmer souffrait en silence, jusqu’à l’extrême limite de la misère : il savait bien que s’il osait bouger, nos soldats arriveraient aussitôt mettre le holà ! Mais c’était au « protecteur » qu’il attribuait ce déplorable état de choses. Il fallait que cette race fût habituée de longue date à la résignation pour résister à un pareil régime. Nous avons dû attendre longtemps pour y porter le commencement de remèdes nécessaire, jusqu’au moment où après la pacification complète de nos provinces, le premier gouverneur civil, M. Le Myre de Vilers, armé d’une expérience administrative technique et des leçons du passé, inaugura au Cambodge un rudiment de budget et les réformes les plus pressantes.

En dépit de ces lacunes et de ces erreurs, notre protectorat a eu un résultat honorable : il a maintenu l’existence de la nationalité cambodgienne. Nous avons rassemblé en un faisceau plus solide des populations qui, livrées à elles-mêmes, n’auraient pas tardé à se dissoudre, sous les coups répétés des rivalités conquérantes de l’Est et de l’Ouest. Mais ce résultat agrandissait nos responsabilités, et nous étions de plus en plus impérativement obligés de ne pas demeurer plus longtemps sourds aux protestations de nos protégés, réclamant sans cesse de nous leurs provinces perdues. Ils viennent enfin d’obtenir satisfaction. Ce