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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/122

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par delà aux auteurs les plus richement, les plus brillamment italiens. Laissons-le manifester lui-même ses préférences littéraires, livrer le secret de son vocabulaire et de son style :


Je hais, dit-il, la langue académique qui prévalut dans beaucoup d’œuvres poétiques des derniers siècles, mais j’aime, j’adore la langue de Dante et de Pétrarque, la langue des poètes populaires du quattrocento, la langue des poètes si élégans du cinquecento, la langue des poètes classiques de l’époque récente] ; j’aime, j’étudie et j’emploie de temps en temps la langue du peuple… Et, je n’ai pas honte non plus d’emprunter ce qui me paraît bon au grec et au latin.


Donc, le classicisme de Carducci est un phénomène littéraire et esthétique d’une importance capitale. Mais il est autre chose encore. Carducci n’est pas moins classique de fond que de forme. Ou plutôt l’habit classique est le vêtement obligé des idées que sa poésie exprime.

C’est par enthousiasme classique que Giosuè Carducci est si résolument anti-chrétien. Son classicisme exalte la vie par opposition au christianisme qui, d’après lui, la méconnaît. Tout comme Nietzsche, auquel il ressemble d’ailleurs si peu, il dit à l’existence « un oui joyeux. » La première déclaration de guerre formelle adressée par le poète au Dieu chrétien se trouve dans l’Hymne à Satan (1865). Des protestations indignées saluèrent cette pièce de vers et, certes, si le poète n’a écrit aucun morceau plus célèbre, il en a écrit beaucoup de plus méritoires. Son goût du paradoxe, le plaisir qu’il éprouve à déplaire, entrent pour quelque chose dans ce poème infernal : « O toi de l’Etre, principe immense, matière et esprit, raison et sens. » Satan, invoqué par Carducci, n’est d’ailleurs pas le Satan de Milton, ni le Méphistophélès de Goethe ; c’est moins encore le Satan de Baudelaire :


O toi le plus savant et le plus beau des anges,
Dieu trahi par le sort et privé de louanges,


c’est tout simplement l’esprit d’examen, le libre arbitre, la Raison jugée par Carducci incompatible avec la Foi et qu’il exalte aux dépens de celle-ci dans des vers d’une inspiration toute classique. Jéhova est représenté, en effet, tenant le foudre olympien dans la main droite. Ainsi déjà un poète italien du XVe siècle mêlait naïvement les deux traditions et s’écriait, d’ailleurs en toute piété : « O très grand Jupiter pour nous crucifié ! »