Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vers célèbre, une des plus belles de Giosuè Carducci, retrace le souvenir idéalisé d’un amour rustique. Dans l’Idylle maremmane résonnent harmonieusement ces deux notes si rares dans l’œuvre du poète patriote : la note agreste et la note amoureuse.

L’héroïne de l’Idylle maremmane est une simple paysanne, la blonde Marie, « Maria bionda. » Elle aima le poète, le poète l’aima. Tous deux étaient jeunes. Tous deux suivirent depuis la route différente où les mena leur destin. Parvenu au milieu du chemin de la vie et au sommet de la gloire, le poète se rappelle cette amourette. Il revoit la blonde Marie, robuste et saine. Un regret l’étreint. Et il s’écrie :


Comme tu étais belle, ô jouvencelle, quand du milieu des longs sillons ondoyans tu émergeais, tenant en mains une couronne de fleurs. Altière et rieuse, ouvrant grands et profonds tes yeux d’azur, brillans d’un feu sauvage sous tes cils pleins de vie… Autour de toi le grand été flamboyait. A travers les verts rameaux du grenadier qui scintillait, tout rouge, le soleil riait. Devant tes pas comme devant ceux d’une déesse, le beau paon étalait sa queue constellée d’yeux, et, te regardant, il émettait un son rauque.


Le poète, attendri, poursuit sa rêverie. Il compare le petit jeune homme joyeux qu’il était au grand homme triste qu’il est devenu. Considérant l’idéal immense qu’il caressait alors et la part médiocre qu’il en a réalisée, il proclame la banqueroute de ses rêves. Il croit comprendre qu’il a manqué sa vie. Le bonheur était là, aux côtés de « Maria bionda. » « Hélas ! s’écrie-t-il, combien froide maintenant mon existence ! Comme elle a passé, obscure et méprisable ! Comme il eût été mieux, blonde Marie, de t’épouser plutôt que de suer derrière le vers infime. » Il est moins décevant, poursuit Carducci, de chasser les bêtes fauves que l’idéal, de se colleter avec les buffles qu’avec la rime.


Oh ! c’est une meilleure gloire aux fils attentifs de narrer les courageux exploits et les chasses fatigantes et les mêlées périlleuses en montrant du doigt au liane du sanglier mort les plaies obliques que de poursuivre à coups de chansons rimées les lâches Italiens et Trissotin.


Ainsi, souvent, au déclin de la vie, les hommes de pensée s’attristent en songeant qu’ils ont dédaigné Lalagé et Lydie pour suivre la science « qui leur avait paru plus belle… » Peut-être y a-t- il aussi quelque artifice dans les regrets de Giosuè