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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/137

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poétique. Son influence n’en a pas moins été immense et comparable à celle qu’exerça naguère Alexandre Manzoni dans le camp opposé. Une foule de jeunes Italiens, aujourd’hui parvenus à l’âge mûr et disséminés dans toutes les carrières libérales, ont appris à écrire et à penser sous les auspices du philologue de Bologne. Les étudians ont profité des leçons de l’érudit, les jeunes auteurs se sont inspirés des exemples du poète et du prosateur. A la langue italienne qui s’amollissait, Carducci a rendu la force, il a restauré le culte de la forme qu’il est du devoir de l’Italie de sauvegarder alors qu’il disparaîtrait de la surface de la terre ; à la poésie enfin, ce poète a rendu la dignité civile. Si la vertu intime du christianisme resta pour lui lettre morte (dans la première partie de sa vie, du moins), il a le sentiment large et fier, sinon complet, de la tradition nationale. En vérité, l’Italie doit être fière d’avoir suscité, au moment où elle reprenait sa place parmi les nations, un poète d’une pareille puissance. Aux futures générations italiennes on enseignera à la fois le Risorgimento national dans l’histoire et l’interprétation poétique qu’en a donnée dans ses vers Giosuè Carducci.

Tous les poètes de l’Italie contemporaine lui doivent quelque chose : M. Stecchetti comme M. Marradi, M. Pascoli comme M. d’Annunzio. Ce dernier lui est plus proche parent que tout autre. Aussi bien le poète des Odes barbares a-t-il formellement reconnu dans le poète des Laudi son fils spirituel. Carducci, dit-on, appréciait fort peu dans l’origine le prosateur de Piacere et le poète d’Isotteo e la Chimera. Mais Gabriele d’Annunzio ayant publié sa Canzone a Verdi, le professeur patriote lui adressa par télégramme des félicitations chaleureuses. Des rapports suivis de maître à élève, cordiaux, d’une part, respectueusement admiratifs, de l’autre, s’établirent, à partir de ce jour, entre le poète maremman et le poète abruzzais. Dans le courant de 1901, d’Annunzio vint même faire à Giosuè Carducci une visite en quelque sorte officielle. Sur le seuil, il effeuilla d’un geste gracieux une gerbe de roses. Souriant, le maître vint à la rencontre du disciple et l’embrassa. Un entretien amical s’engagea. Par la suite, de nouvelles entrevues eurent lieu. Et dans la Laus vitæ d’Annunzio a inséré un éloge du maître dont on sait qu’il fut doux au cœur de celui-ci. Arrêtons-nous un instant à cet épisode. Il est significatif. L’auteur de la Fille de Jorio compte, en effet, dans son pays des détracteurs implacables,