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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/161

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VI

Dressé par ces encouragemens mêmes, Ketteler, à la fin du printemps de 1864, publiait son livre : la Question ouvrière et le christianisme. Il déclarait que Lassalle et son parti « avaient le mérite incontestable d’avoir dépeint, en termes aussi énergiques que vrais, la situation des classes ouvrières réduites au strict nécessaire ; » il faisait sienne, en somme, la partie critique du système de Lassalle. Mais quant à la partie positive et, si l’on ose ainsi dire, constructrice, de ce système, Ketteler la répudiait comme périlleuse et comme illégitime, de même qu’il évinçait comme insuffisantes les solutions de Schulze Delitzsch. L’intervention souveraine par laquelle l’État prélèverait sur les riches l’argent nécessaire pour transformer les pauvres en propriétaires inquiétait, au point de vue du droit, les scrupules théologiques de l’évêque, toujours soucieux de distinguer entre les obligations de stricte justice et les obligations de charité. Au surplus, l’instinct même de Ketteler, si rapide à s’insurger contre tout absolutisme, le dissuadait encore, à cette époque, de confier à l’État centralisateur la solution de la question sociale. Parce qu’hostile à l’absolutisme, il combattait, chez le propriétaire, le jus abutendi et, chez l’employeur, l’exploitation des forces humaines : de là, ses hardiesses de théoricien social. Mais parce qu’hostile à l’absolutisme, aussi, il ne voulait pas d’un État subjuguant les riches par ses exigences fiscales et les pauvres par ses bienfaits gratuits ; et c’est ainsi que sa haine tenace contre toute exagération illimitée dans l’exercice des droits humains l’amenait, tour à tour, à se rapprocher de Lassalle et à se séparer de lui. Le livre s’achevait par l’exposé du beau rêve qu’esquissait naguère la lettre à Lassalle ; Ketteler souhaitait, avec une ardente confiance, que l’épanouissement même de l’amour chrétien dans les âmes se traduisît, sur le terrain social, par la création de coopératives de production, dont les premiers fonds seraient dus à d’émouvans gestes d’amour.

La presse catholique examina sérieusement les propositions de Ketteler ; certains de ses organes se déclarèrent tout prêts à cesser de revendiquer les biens ecclésiastiques sécularisés, si le produit de ces sécularisations était affecté par l’État à des coopératives de production. Que les biens enlevés à Dieu fussent