ou de Céphalonie ou bien le Prêtre Jean, chez qui les Anges eux-mêmes font la cuisine et servent à table ? Toujours est-il que la fête est prestigieuse et splendide, soudaine et inattendue, inoubliable et sans lendemain. Le voyageur ne sait où il est, ni à quelle porte il frappe, ni si les gardes qui sont là ne vont pas lui couper le cou. On l’accueille, on s’empresse, on déploie devant lui toutes les ressources et toutes les magies d’une Cour d’Orient, et après quelques heures d’ivresse, d’extase et de repos, il reprend sa route, l’imagination encore toute ravie, ignorant du nom et du lieu où se sont révélées à lui tant de merveilles, inhabile à les décrire, incapable de les retrouver, doutant s’il a rêvé…
Cette aventure, si fréquente dans les voyages du temps des nefs et des Barbaresques, c’est un peu ce qui nous arrive aujourd’hui. Pèlerins de l’art, curieux de toutes ses manifestations et errant dans tous ses domaines, nous avons parcouru depuis quelque temps de bien étranges contrées. Nous avons traversé de singulières épreuves. Dans le plus vaste royaume où notre poursuite inconsidérée de la beauté ait conduit nos pas, nous nous sommes trouvés, dès l’entrée, en présence d’un gigantesque Acéphalobrache, qu’on nous a dit être le principal seigneur du lieu et considéré comme l’incarnation de la Marche, puis d’une foule d’estropiés, ou de figures titubantes, ou de personnes qui nous tournaient obstinément le dos et semblaient faire des efforts inouïs pour échapper à notre vue et rentrer dans les murs ; enfin, d’autres êtres misérables, courbés, ployés, accablés de douleur. De ce royaume de pauvres gens, nous avons passé dans une autre région sur le bord d’un fleuve où la tristesse des visages n’était pas moindre, où tous semblaient oppressés par un cauchemar, et l’atmosphère obscurcie de brouillards et de fumées. Encore tout émus de cette journée de voyage et incommodés de cette poire d’angoisse, nous nous sommes trouvés tout à coup chez un peuple de nains ridicules, parmi lesquels nous avons eu la douleur de reconnaître quelques-uns de nos amis. Les uns se gonflaient comme des montgolfières, les autres se dévidaient comme des écheveaux. Il semblait qu’on se promenât dans un jardin planté de boules panoramas et de quelque côté qu’on se tournât, on se voyait, soi ou ses pareils, soumis aux plus fâcheuses anamorphoses. Sans doute on n’était point tenu d’habiter longtemps ces régions inhospitalières, mais la surprise