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artificielle de tout un arbre et à la disparition de ses folles branches, voici la récréation triomphante de deux talens généreux et libres, la pulpe savoureuse d’une matière grasse, profonde, étincelante, toute traversée de vie. Nous sommes aussi loin des Primitifs que des Décadens. Ce ne sont plus des fruits verts, ce ne sont plus des fruits gâtés, ce ne sont plus des fruits forcés : ce sont des fruits mûrs.

Faisons comme le pèlerin du moyen âge, profitons de cette fête. Elle sera courte, et demain il faudra reprendre le bâton de marche à travers les poussières soulevées sur le chemin par les disputes, les crises, les « questions, » les inaugurations, les expositions, les ventes et les « méventes, » au risque d’y rencontrer des êtres de plus en plus privés de ce qu’on considérait jusqu’ici comme nécessaire à la vie : une tête, des bras, la couleur de la chair, l’atmosphère lumineuse, le geste libre et spontané ! Comme le voyageur d’antan, nous ne saurons jamais où aller pour retrouver l’île enchantée où cette fête se donne. Elle fuira devant notre nef, si jamais nous tentons de la rejoindre,


Ainsi que Dèle sur la mer…


Car cette île est purement illusoire. Elle est faite de trois cents morceaux qu’un miracle d’ingéniosité a réunis et soudés un instant sur le même point du globe et qui vont s’émietter dans quelques jours. Ils retourneront celui-ci chez le Roi de la mer, celui-là chez le maître de Potsdam, cet autre au bord du Danube, et ne seront peut-être plus jamais réunis. En sorte que, quand plus tard nous raconterons le voyage que nous y faisons aujourd’hui, nous ne paraîtrons pas plus véridiques, ni parler d’un royaume plus certain que Marco Polo ou Jacques de Vitry, quand ils décrivaient les merveilles d’une halte aux terres lointaines d’un Orient fabuleux, chez le Prêtre Jean…


I

Nous sommes en 1750, au plus beau du règne de Mme de Pompadour, au moment des convulsionnaires, du « vingtième, » de l’assemblée des évêques à Paris, des mutineries militaires, de la grande détresse des campagnes et de l’invention de la place de la Concorde. Voyez ce jouvenceau de quatre pieds onze pouces, à l’œil vif, trottinant dans la rue Princesse. C’est un petit