d’atroce exil les proscrits de Fructidor, victimes de la seconde Terreur et songeait à amnistier par catégories les émigrés, victimes de la première. À ce Directoire dont l’odieuse politique de « bascule » aboutissait toujours à proscrire à droite ou à gauche, Babeuf, Carnot ou Pichegru, succédait donc un gouvernement qui, par une habile politique de ménagement, satisfaisait par la clémence les intérêts opposés, encourageait la confiance des partis en méritant leur gratitude et, amnistiant l’une après l’autre toutes les victimes de nos discordes, donnait exactement l’idée que celles-ci étaient closes. L’équilibre consulaire s’opposait ici victorieusement à la bascule directoriale.
A la veille de Brumaire, Bonaparte avait espéré être porté au pouvoir par l’assentiment unanime des partis : c’est pourquoi il les avait tous pratiqués et sondés. Les amis jacobins de Jourdan lui avaient offert leur concours, mais sous réserve que Bonaparte serait un Robespierre à cheval : il avait refusé de se faire leur chef pour n’être pas le prisonnier de leur parti, car il ne voulait être le prisonnier d’aucun. Après Brumaire, il était résolu, tout en utilisant les individus d’où qu’ils vinssent, à se garer des coteries. « Gouverner avec un parti, avait-il dit à Thibaudeau, c’est se mettre tôt ou tard sous sa dépendance. On ne m’y prendra pas : je suis national ! » Qu’un homme prononce une telle parole, et nous le sacrons déjà homme d’Etat : qu’il sache s’y tenir, nous l’appellerons un très grand homme d’Etat.
Il est facile, en vérité, après avoir lu les pages que M. Vandal consacre à cette première année de Consulat, de constater que Bonaparte sut mettre en actes ce bref et magnifique programme.
Concrétisant l’image dont M. Vandal nous fournit çà, et là les traits, nous asseyons le grand arbitre sous un gigantesque chêne de Vincennes. Devant ce juge dont la figure énergique, mais ouverte et le plus souvent souriante, — « Soyez gais, » écrit-il à ses collaborateurs, — inspire confiance, dont l’œil pénètre loin, fouille les pensées et les arrière-pensées, dont l’oreille s’offre aux plaintes, aux vœux, aux conseils, et dont la bouche enfin ne s’ouvre que pour prononcer l’arrêt qui, sans en mortifier aucun, départage les plaignans, la France entière apporte ses procès. « Les résultats du grand arbitrage se font accepter de tous les intérêts parce qu’aucun n’y est totalement favorisé ou sacrifié. »