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ne faut jamais perdre de vue. Ce n’est point par goût du pittoresque que j’ai cru pouvoir rapporter ici ces impressions, c’est parce qu’elles sont vraiment de nature à expliquer les opinions contradictoires que l’on entend émettre sur l’œuvre réformatrice des puissances. Si l’on songe à tous ces hommes qui emplissent les prisons, à tous ceux qui sont morts, qui ont émigré, qui pâtissent dans leurs personnes, dans leurs biens, dans leur vie morale, comment ne serait-on pas tenté de conclure que les réformes n’ont qu’un intérêt très secondaire, en tout cas que leurs résultats sont à trop lointaine échéance, quand, derrière les statu quo et les « intégrités » des diplomates, il y a des hommes, et qui souffrent ? Il est tout naturel que ce point de vue soit celui des populations chrétiennes de Macédoine et des États balkaniques si directement engagés, non seulement par leurs intérêts matériels, mais aussi, pour ainsi dire, par leurs affections de famille, dans les affaires macédoniennes. Traçant un tableau très noir de la situation en Macédoine, M. Boppe, chargé d’affaires de France à Constantinople, terminait, le 10 août 1905, une lettre à M. Rouvier en disant : « On peut penser que, dans cette lamentable situation, les Macédoniens se préoccupent bien peu des réformes annoncées par les Puissances[1]. » C’est là une situation qui, si triste qu’elle soit, est inhérente à la constitution actuelle de la Macédoine, et l’on est fondé à soutenir que jamais les réformes ne feront qu’améliorer une situation qui restera toujours difficile, toujours génératrice d’incidens douloureux, tant que subsisteront les conditions qui la créent, c’est-à-dire tant que le Turc dominera des populations chrétiennes, ou du moins tant qu’il restera le « Turc » avec tout ce que l’histoire et des siècles de guerre et d’oppression ont mis de haine dans ce mot. Les réformes pourront apporter à la Macédoine des améliorations de surface, elles n’atteindront pas la racine même du mal. Ainsi raisonnent tous ceux, écrivains, hommes d’État ou diplomates, qui se mollirent sévères pour l’œuvre des réformes et incrédules sur ses avantages.

Tout autre est le point de vue de l’Europe, et, tant que les puissances reconnaîtront l’intégrité de l’Empire ottoman pour l’un des fondemens de l’équilibre européen, il faut convenir qu’elle ne saurait adopter que celui-là. Les Bulgares souhaitent

  1. Livre Jaune de 1903-1905, n° 150.