pleins de traits de mœurs singulières ; et qui sait si ces étrangetés ne nous eussent fort incommodés ? Combien d’entre nous sont à tel point prisonniers de leurs habitudes, que tout ce qui les y dérange les chagrine, au lieu de les amuser ! Ils abondent en curiosités morales ; et combien sommes-nous qui, par vanité ou paresse d’esprit, dédaignons d’entrer dans l’âme d’autrui, ou ne voulons pas nous en donner la peine, ou nous en sentons incapables ! Ces récits sont des récits d’aventures, alors même qu’ils ne sont signés ni par Alexandre Dumas ni par Mayne Reid, ni par Stanley. A tout le moins, sont-ils ponctués d’incidens ; et les plus désagréables ne risquent pas de nous chagriner, puisque ce sont d’autres qui en ont souffert. C’est ici que se vérifie le mot splendidement égoïste du poète : Suave mari magno… Il y a de l’imprévu, de la variété, je ne veux pas dire du décousu. D’un sujet on passe à un autre : d’un paysage à un intérieur, d’une marine à un sous-bois, d’un mariage à un enterrement, et d’une séance de Parlement à une parade de carnaval. Ajoutez qu’on a la satisfaction de songer qu’on s’instruit. On s’instruit en s’amusant, ce qui est l’éternelle chimère des pédagogues ; on acquiert des idées nouvelles ; on fait provision d’hypothèses ; on change de préjugés. Aussi pas un livre de voyage, fût-il médiocre, qui ne trouve des lecteurs. Les meilleurs sont accueillis avec une ferveur marquée. Je ne crois pas qu’on en eût jamais fait autant qu’aujourd’hui, ni qu’on y eût dépensé autant de talent. Mais surtout, et c’est ici ce qui doit nous intéresser, il est aisé de voir que de quelques-uns de ces livres se dégage une conception assez nouvelle de cette sorte d’écrits. Un art s’y essaie qui n’est plus seulement l’art de décrire et de conter, mais qui, plus complexe, plus riche en ressources, réalise un objet de plus de conséquence. A de certaines conditions, les récits de voyages deviennent œuvre de littérature ; c’est un genre qui n’a pas eu encore pleine conscience de sa définition et de ses moyens. Nous voudrions, en nous aidant de quelques spécimens choisis à dessein, indiquer ce que doit ou ce que peut être la « littérature de voyages. »
Ils sont nombreux, ceux de ces livres qui mériteraient d’être loués, et que nous aimerions à citer. Mais justement, ils sont trop. Contentons-nous d’en prendre quelques-uns qui nous fourniront d’exemples à l’appui de l’idée que nous souhaitons de faire prévaloir. M. André Chevrillon est historien, philosophe et poète. Neveu d’Hippolyte Taine, il est vraiment, par l’esprit, « de la famille. » Formé par la discipline du maître, il sait comme lui aller droit au petit fait significatif et qui porte témoignage pour tout un ensemble. Il a comme