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sont soumis au décret du Napoléon de la critique d’art ; et lorsque M. Gronau a entrepris de nous offrir, — dans un volume nouveau d’une excellente collection populaire dont j’ai eu déjà, maintes fois, l’occasion de parler[1], — des reproductions, classées suivant l’ordre des dates, de la série complète des peintures de Corrège, il n’a pu s’empêcher, lui aussi, de placer au début de son recueil, — avant cette Vierge avec saint François qui, dès le XVIe siècle, avait passé pour la première des œuvres du jeune maître, — onze autres œuvres que Corrège aurait peintes entre 1512 et 1514 : sans compter quatre ou cinq œuvres qu’il a placées dans la suite de son recueil, toujours sur la foi de Morelli ou de son école, et dont l’attribution à Corrège est exactement aussi vraisemblable que celle de la fâcheuse Adoration des mages du musée Brera.

Je dois ajouter que, parmi cette vingtaine de nouveaux Corrège, le tableau du musée Brera est le seul qui soit vraiment déplaisant : plusieurs autres, d’un métier également très gauche, rachètent la faiblesse de leur exécution par une invention piquante, ou par la grâce ingénue de leur sentiment ; et y il en a même un, le Jeune Faune du musée de Munich, qui, directement issu de l’art de Giorgione, est un véritable bijou de chaude, lumineuse, et sensuelle couleur. Mais tous, pour divers qu’ils soient en toute façon, ces tableaux, de même que celui du musée Brera, ont pour effet de modifier l’image du génie de Corrège, telle que nous nous la faisions au spectacle des œuvres de ce que l’on veut maintenant que nous considérions comme la « seconde manière » du maître parmesan. Et ceci nous amène à dire quelques mots de la différence des deux méthodes qui se partagent aujourd’hui la critique d’art, et dont l’une consiste à restreindre le catalogue de l’œuvre des grands artistes, tandis que l’autre tendrait à l’accroître indéfiniment.

Au point de vue absolu, évidemment, ces deux méthodes ont la même valeur ; et le devoir du critique idéal serait de les employer toutes deux avec assez d’adresse pour aboutir, grâce à elles, à une reconstitution complète de l’œuvre authentique d’un Corrège ou d’un Léonard. Mais, en fait, nous savons trop qu’une pareille reconstitution est à jamais impossible, et que les plus savans efforts de la critique, surtout quand elle ne dispose point de documens positifs, ne peuvent encore aboutir qu’à de simples hypothèses. Ni ceux des critiques qui ont réduit l’œuvre de Giorgione à deux ou trois tableaux, par

  1. Voyez la Revue du 15 août 1904 et celle du 15 mai 1906.